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L'Oeil du Selen
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2 avril 2019

Démocratie, dictature... comment réfléchir avec des mots corrompus ?

 

Le mouvement des gilets jaunes a eu le mérite de mettre en lumière une chose que je dénonce depuis des lustres, et je ne suis bien sûr pas le seul à dire que notre « démocratie » n'est qu'une façade et une imposture. Mais il m’apparaît que la question doit être posée en terme plus fins qu'un simple manichéisme « démocratie ou dictature ? ».

 

Pour poser quelques jalons, je propose cet article publié sur agoravox, que j'ai trouvé pertinent.

 

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/gilets-jaunes-revelateurs-d-une-213864

 

L'échange dans les commentaires est comme d'habitude à la foire d'empoigne, mais ce qui compte c'est que l'auteur, qui a connu la Chine et l'Afrique, a une vision beaucoup plus nuancée que celle que l'on peut avoir trop facilement sur cette question. La démocratie, comme chacun sait, ce sont les pays occidentaux où les femmes sortent en jupe, où les hommes boivent de la bière, où la liberté ne connaît pas de limite, le droit de vote, les free hugs, tout ça tout ça. La dictature c'est le bruit des bottes, un militaire derrière la porte de votre chambre à coucher, des supermarchés vides et où tout le monde a pour principale activité de faire la gueule 24/24.

 

Un documentaire passé sur Arte à propos de la Corée du nord, et encore disponible quelques jours à l'heure où je publie, a le mérite de montrer que les choses sont moins caricaturales. De nos jours, les frontières entre le libéralisme et l'autoritarisme se brouillent de plus en plus, et des pays comme la Corée du nord, mais aussi l'Arabie saoudite, se tournent quelque peu vers l'extérieur, et s'ouvrent à d'autres possibilités, peu à peu, tandis que les démocraties sont de plus en plus régulièrement exposées à une « tentation autoritaire », comme disent pudiquement certains...

 

https://www.arte.tv/fr/videos/075220-000-A/pyongyang-s-amuse/

 

Le lien fournit une erreur 500 au moment où je le mets ici, mais normalement, le documentaire est disponible jusqu'au 19/04/2019.

 

Bon, même après avoir vu ce doc, et même en admirant l'esprit de corps propre aux nord coréens, je me dis que non, ce pays militarisé où l'esprit collectif écrase totalement l'individualité et la possibilité même d'individuation (ce qui permet à ces gens de ne pas être particulièrement malheureux, dans l'ensemble), ce pays, donc, ne me fait toujours pas envie. Ni la Chine, ni l'Arabie saoudite, etc.

 

Mais ce qui est important ici, c'est de voir que, même dans la dictature la plus mondialement reconnue, la plus assumée, la plus militarisée, où les gens ne peuvent pas critiquer leurs dirigeants, la vie n'est pas forcément un cauchemar invivable qui pousse tout le monde à la dépression et au suicide, et peut-être au contraire, l'esprit collectiviste pousse la solidarité et la coopération (qui n'existent plus que marginalement ou dans certains cadres précis, dans nos sociétés), et si être exclu dans une telle société est pire que dans n'importe quelle autre, la société fournit, en revanche, un minimum de garanties à tout le monde. On y trouve essentiellement des pauvres qui n'ont pas 150 robes dans leur dressing, mais je doute qu'il y existe beaucoup de clochards, en revanche. Les laissés pour compte existent pour la plupart soit dans des camps, soit dans des recoins isolés de la province, mais je ne crois pas qu'ils vivent en nombre sous les ponts (ça ferait mauvais genre). Bref c'est aussi un choix de société, et tout n'y est pas noir, même s'il est facile de trouver des choses à déplorer (les nord coréens sont essentiellement prisonniers de leur pays).

 

Fixer un peu les idées, remettre un peu de nuances, c'est aussi montrer qu'il n'y a pas besoin de faire un si grand écart pour rejoindre nos contrées et ce genre de pays. En réalité, les dictatures comme celle-ci sont des régimes à l'ancienne voués à disparaître, qui sont surtout arriérés en terme de contrôle social. A un moment, le documentariste ironise sur le fait que Pyongyang n'ait pas choisi de faire la promotion du pays sous l'angle de ses bienfaits écologiques, car ce pays est sans doute celui qui, au monde, produit le moins de gaspillage... Pensez-y quand je parle de la tyrannie écolo à venir... S'il vient un temps où tous les pays se retrouveront limités en terme d'usage des ressources, alors il se pourrait bien que tous les pays ressemblent de plus en plus à la Corée du nord, avec un habillage différent, pseudo-démocratique, pseudo-écologique, etc. Retour à un collectivisme forcé, qui s'appuiera sur des méthodes poussées de négation de l'individualité. Une Corée du nord nouvelle, mais avant-gardiste dans le domaine du contrôle social. Une tyrannie progressiste.

 

 

Mais revenons à l'article publié sur agoravox. J'en souligne quelques longs passages, qui me semblent édifiants dans la peinture qu'ils font du pouvoir actuel :

 

« Le pouvoir macronien (...) sa survenue subite dans la sphère politique, la façon dont il est arrivé au pouvoir et la manière dont il l'exerce qui peuvent amener les questions autour d’un engendrement, lent et progressif, d’un État autoritaire puis dictatorial. Si la légitimité légale d’E. Macron n’est pas remise en cause, cela ne suffit pas à écarter la survenue d’une dictature car l’histoire montre que nombre de dictatures ont débuté par une élection « normale », comme celle de Napoléon III ou celle de Mussolini.

 (...)

Face à l’échec de son traitement et à la persistance des manifestations il a choisi d’étouffer la « rébellion » et de couper les manifestants du reste de la population comme on le fait dans une dictature par l’usage de la force et par celui de la propagande : « Dans les bouleversements si radicaux, on recourt à la manière forte pour faire face à la situation, parce que les institutions normales paraissent insuffisantes. » L’usage de la force débute par la répression qui vise à mettre les opposants hors d’état d’agir, on se souviendra des perquisitions surprises chez Jean-Luc Mélenchon et chez de nombreux membres de la France Insoumise, et à Médiapart. Cette répression s’est portée surtout, bien évidemment, sur les principaux marqueurs de l’opposition à la politique d’E. Macron : les Gilets Jaunes, avec une incroyable, et jamais vue, quantité d’arrestations, de condamnations et d’incarcérations dont d’ailleurs la ministre de la justice se vantait le samedi 23 mars à l’aube du 19ème samedi de manifestation : « Nous serons sans merci pour les casseurs [...] Ce que veulent ces gens, ce n'est pas le dialogue, leur seule revendication c'est la violence », et de vanter quelques jours plus tard les 9000 interpellations. Le pouvoir sera sans merci ! Au-delà de la détermination à maintenir l’ordre et à assurer la sécurité il y a une volonté forte à détourner le reste de la population d’imiter les opposants au pouvoir.

 

Jusqu’à présent nous échappions à deux autres caractéristiques d’une dictature : le recours à l’armée et la torture et les exécutions. Le « renforcement » des forces de la mission Sentinelle et l’autorisation qui leur a été donnée de faire usage de leurs armes doivent interroger notamment quand on entend les propos de la députée Claire O’Petit qui annonçait[3] que « l'armée pourra tirer sur les Gilets jaunes » ou encore ceux du premier ministre qui au JT de 20h de France2 n’excluait pas qu’il puisse y avoir des tués en précisant qu’ils ne devraient leur mort qu’à eux-mêmes puisqu’ils n’auraient pas dû venir manifester. (…) Ne faut-il pas voir dans les propos de Benoît Barret secrétaire général adjoint de Alliance (France Info samedi 23 à 15h12) la volonté du gouvernement d’installer, sournoisement, un État policier : « la peur doit changer de camp  », « la tolérance zéro, toutes les personnes interpellées doivent être condamnées sévèrement  » ; ainsi aujourd’hui la police aux ordres du gouvernement (je l’évoque dans mon livre Gilets Jaunes, et en même temps) tend à indiquer à la justice (indépendante ?) comment elle doit juger.

(...) 

La propagande et la séduction sont les stratégies favorites d’E. Macron, c’est la raison pour laquelle il s’est entouré d’autant de communicants plus formés à vendre de la lessive qu’à faire de la politique, c’est-à-dire à s’occuper du bien public, mais ils ont lu Edward Bernays[4] et ils savent que les règles de la communication commerciale sont les mêmes que celles de la communication politique. (...) Sauf que les quelques bribes de propositions lâchées par E. Macron à propos de la réforme des institutions montrent qu’il souhaite affaiblir la représentation populaire donc l’opposition à son pouvoir : diminution du nombre de députés, fusion du sénat avec le conseil économique, social et environnemental, affaiblissement des prérogatives de la cour des comptes, la mise sous véritable tutelle des collectivités territoriales (...) Peut-on penser que la suppression des jurés populaires dans les procès aux assises serait une avancée démocratique alors qu’il n’y a que dans les dictatures où cela existe ?

 

(…) Dans une dictature on fait du leader « un surhomme, un homme providentiel, doué de plus de clairvoyance que les autres, capable de comprendre et d’exprimer les forces mystérieuses de la collectivité. L’idée des rois-dieux ou de rois élus de Dieu réapparaît ainsi sous une forme nouvelle, en se combinant bizarrement avec les théories démocratiques.  »

 

 

Affaiblissement des contre-pouvoirs et des mécanismes de la démocratie, hyper-communication pédagogiste inspirée des techniques de propagande les mieux éprouvées, violence directe et indirecte contre la population, négation des revendications de cette dernière, intimidation, arrestation et diabolisation des opposants (politiques, médiatiques, judiciaires et populaires), contrôle des médias, divinisation du leader qui assume la « verticalité du pouvoir » qu'il concentre de plus en plus, barbouzes en rapport direct avec le président, utilisation de l'armée dans le cadre des manifestations, autant de caractéristiques qui ont fait dire à certains observateurs que nous nous rapprochions d'un fonctionnement fasciste, au point que certains n'hésitent pas à qualifier le gouvernement actuel par ce terme.

 

Tout est certes question de gradation, mais que penser, en tant que français, habitants d'un pays à la tradition révolutionnaire et républicaine, désormais la cible de réprobations d'ONG telles qu'Amnesty international mais surtout, plus grave, de l'ONU elle-même. Les éditocrates, on l'a vue, ont reçu ces admonestations de l'ONU avec la plus grande surprise et la plus totale incompréhension, ne pouvant accepter de voir les faits en face, et considérant là qu'ils n'étaient qu'en face d'une sorte de bug de la matrice, l'ONU étant traditionnellement de notre côté, voire notre jouet pour nous ingérer dans les affaires des autres, et certainement pas une organisation mondiale indépendante, pouvant s'ingérer dans les nôtres, quand bien même nous serions en plein glissement autoritaire... Un épisode particulièrement navrant de notre histoire, mais qui ne ramène même pas au réel nos idéologues bienveillants qui, pour le coup font vraiment figures de « guides de la nation », version Kim Jong made in France.

 

Le rapport d'Amnesty international, concernant le droit de manifester en France :

 

https://www.les-crises.fr/droit-de-manifester-en-france-par-amnesty-international/

 

Un autre article sur ce sujet a attiré mon attention. On se demande parfois où veut en venir cet ancien de la CIA, mais dans l'ensemble, sa réflexion montre que nous glissons collectivement vers un plus grand contrôle des populations par des moyens techniques nouveaux qui seront immanquablement utilisés, car ils peuvent l'être, le cynisme étant la règle parmi les décideurs.

 

https://www.les-crises.fr/lavenir-de-notre-politique-repressive-mondiale-par-graham-e-fuller/

 

Je cite là aussi quelques passages, en mettant en gras les phrases les plus importantes :

 

« La pensée la plus effrayante de toutes est que l’avenir de la « démocratie » pourrait bien résider dans l’intention de l’état de maintenir, contrôler et façonner la « pratique démocratique » comme un autre mécanisme de contrôle social. La « démocratie illibérale » est un phénomène croissant. Plus les « élections » peuvent être utilisées comme une distraction – le pain et les jeux – plus le public peut essentiellement être distrait de la recherche et de l’examen radical des maux sociaux et politiques.

 

(…)

 

Les gens choisiront presque toujours la sécurité plutôt que l’anarchie et la violence. Qui ne le ferait pas ? L’état qui peut assurer la sécurité gagnera le match. La perte d’une certaine liberté d’expression, d’action, vaut la peine par rapport aux horreurs de l’anarchie. (Les Chinois, qui ont vécu près d’un siècle de violence politique la plus flagrante, sont les derniers à vouloir revenir à un tel régime).

La démocratie devient ainsi un luxe de plus en plus coûteux et difficile à manier. Pour l’état, eh bien, il suffit de garder les pièges de la démocratie, de la laisser servir de distraction et de s’assurer que les vrais problèmes fondamentaux ne sont pas abordés – en faisant appel à des questions sociales émotionnelles et sensibles comme la peur des étrangers, les pauvres et les programmes sociaux « agressifs » des minorités politique, sociale, raciale et sexuelle.

Tout cela reflète peut-être simplement la nature de l’animal politique humain et la nature de la technologie future : limiter le choix aux questions bruyantes et imprévisibles qui ne mettent pas vraiment en cause le système fondamental ou la structure du pouvoir. Débattre sur l’utilisation transsexuelle des toilettes, la répression du symbolisme religieux public (crèches à Noël), les monuments de la guerre civile, la vie des riches et célèbres, les enquêtes de destitution à longueur d’année, le divertissement toujours meilleur et les séries télé. Évitez juste les problèmes de fond.

 

Dans la mesure où la plupart d’entre nous préféreront, en fin de compte, une gouvernance qui offrira un ordre, des systèmes économiques calmes et vivables, la répression de la criminalité et du terrorisme, alors l’avenir des régimes libéraux ouverts semble compromis. Ce n’est que lorsque les régimes et les gouvernements seront parvenus à un stade d’incompétence massive dans la fourniture de ces éléments de base ou dans l’exercice d’une brutalité généralisée que l’action politique de masse refera peut-être surface – mais la technologie au service de l’état sera toujours plus efficace que la technologie au service de l’action politique de masse et de son organisation.

(...)

Une perspective déprimante ? Pas si vous privilégiez l’ordre, la sécurité et la satisfaction des besoins sociaux et économiques minimaux de la grande majorité de la population. Dans de nombreux états du monde, on a la chance d’en bénéficier. »

 

On voit que Fuller justifie le glissement vers une logique « illibérale » par la nécessité d'ordre, de sécurité, la satisfaction des besoins les plus importants, la stabilité, et par un certain état circonstanciel des choses, à l'heure d'aujourd'hui. C'est un sujet délicat, et même si son point est assez typiquement celui d'un conservateur, presque une caricature du point de vue « droitard du côté du parti de l'ordre », c'est une tendance qui se vérifie en effet, et qui n'est pas dénué de certains fondements, si l'on veut bien considérer les choses en mettant de côté tout idéalisme pendant un instant.

 

Cette tendance s'ancre d'ailleurs dans l'esprit des populations, au point que l'on trouve de plus en plus de sondages qui indiquent une progression de l'acceptation de la possibilité d'une dictature comme de quelque chose qui ne serait pas fondamentalement néfaste.

 

Cherchez « sondage dictature » sur Google, et vous verrez qu'entre 2015 et 2018, cette tendance tournait autour de 40% dans la population française (si on en croit bien sûr la validité de ces sondages, et l'on pourrait aussi se questionner sur le pourquoi de tels sondages, d'où ils proviennent, etc., mais je coupe au plus court pour m'intéresser juste à la tendance). La justification donnée est souvent celle de la nécessité de tenir ferme les rênes du pays pour imposer des réformes, soit exactement ce que prétend faire Macron. Là aussi on peut se questionner sur le pourquoi de tels sondages dans la période pré-Macron et lors du début de son quinquennat...

 

Mais cela semble avoir progressé – toujours en mettant de côté tout doute concernant la validité des sondages – et désormais nous en serions là :

 

https://francais.rt.com/france/60450-un-francais-sur-deux-favorable-confier-pouvoir-dirigeant-militaire-en-cas-attentat-sondage

 

https://www.franceculture.fr/emissions/lhumeur-du-matin-par-guillaume-erner/lhumeur-du-jour-emission-du-vendredi-29-mars-2019

 

Ceci est intéressant, quelle que soit la validité des sondages, car même si l'on sait que les sondages sont forgés aussi pour fabriquer l'opinion, cela veut aussi dire que les dirigeants ont désormais une base chiffrée qui leur indique que le peuple est, dans une partie non négligeable, prêt à un basculement vers l'autoritarisme, y compris militaire, si celui-ci est présenté d'une manière « acceptable » et opportune.

 

C'est qu'on les y a bien habitués, au cours de décennies de fausse démocratie décourageante, où leurs tentatives pour influencer les décisions, le cours des élections et autres ont été totalement niées et inutiles, avec les élections « Hitler versus La Paix », le référendum de Lisbonne en 2005, l'unilatéralisme autistique des politiques en France depuis que l'UE décide pour nous, parvenu à un paroxysme avec Macron, etc.

 

Mais la situation est en réalité plus grave, car à cette « tentation autoritaire » (qui pour le coup n'est celle de l'état, mais d'une partie de la population conditionnée à cette possibilité) répond une velléité révolutionnaire qui pourrait donner raison à ceux qui évoquent une possible guerre civile en France. Ce n'est pas un point que je veux développer ici, car il me semble trop spéculatif, mais il faut l'avoir en tête.

 

Bien sûr, la critique du sondage faite sur France Culture est valide, mais la simple existence de tous ces sondages sur cette question depuis des années mérite en soi réflexion, de même que la tendance qu'ils font apparaître, et qui ne me semblent pas complètement artificielle, explicable par d'autres choses plus profondes que des artefacts sondagiers.

 

Mais la question qui me taraude plus particulièrement dans cet article est : comment qualifier le type de gouvernance que nous observons aujourd’hui en France ?

 

Pour moi, il est clair qu'il ne s'agit pas de démocratie, je l'ai assez développé en plus de 10 ans de blog, et s'il s'agit de république, alors c'est un peu dans le même sens que dans « République démocratique de Corée du nord » ou « République populaire du Bananistan ».

 

Nous étions déjà, depuis un nombre de décennies que je ne préfère pas fixer, dans un simulacre de démocratie, étant entendu que ce terme désigne le pouvoir du peuple, par et pour le peuple. Et cela n'a guère changé, mais est devenu plus évident pour tous sous le régime macronien qui devait trouver une réponse aux événements actuels, et n'a trouvé, étrangement, dans tout le répertoire démocratique censé être le nôtre que celle de la négation et de la violence avec beaucoup de faux semblants de débats, de blabla, de tergiversations à visée électoraliste, etc. Il faut être niais pour ne pas s'en rendre compte, mais on trouve tout de même beaucoup de gens, soit pour s’accommoder de cet autoritarisme, soit pour ne même pas le voir. Toute critique du régime français sera renvoyée vers la Corée du nord, le grand épouvantail. Comme c'est commode d'avoir des pays purement dictatoriaux pour neutraliser la critique, mais que ferions-nous sans eux ? Si leur existence n'est pas souhaitée, elle est néanmoins très pratique, en tant que grand méchant loup pour mauvais citoyens, c'est presque troublant. Car après tout, quel est le problème avec ça de ceux qui rejettent la critique ? La critique n'est-elle pas, justement, le signe d'une bonne santé démocratique, et la preuve qu'un certain degré de liberté est présent ?

 

C'est certes vrai, encore faudrait-il débattre de la notion de liberté, surtout quand vous vivez dans une prétendue démocratie dans laquelle on trouve encore des gens qui dissertent sur la nécessité d'être prêt à mourir pour la liberté. Je ne sache pas qu'il existe une quelconque liberté dans la mort, que ce soit pour le croyant ou pour l'athée, le premier étant soumis à la volonté de son ou de ses dieux, avec le fatalisme qui sied à cette mentalité, et le second ne croyant pas à la vie après la mort, ce qui est encore une autre version du fatalisme. La liberté n'est que relative, et ne voisine pas avec le fatalisme... Mais la conception de la liberté doit prendre en compte les contraintes de la vie, sans quoi elle n'est que vue de l'esprit, idéal impossible, pur fantasme.

 

Et c'est pourquoi je suis conscient qu'il est important d'être vigilant quant aux glissements de la démocratie vers des formes sournoises d'autoritarisme, car c'est alors que survient le risque de devoir défendre sa liberté, au risque de la perdre entièrement en même temps que sa vie. Aujourd'hui il est devenu très rare de mourir pour la liberté dans nos pays, et c'est très bien comme cela, sauf que les formes sournoises d'autoritarisme ou de totalitarisme s'attaquent en fait à des pans entiers de nos libertés, qui sont encore très actuelles, mais qui pourront tomber d'un coup, si certaines circonstances très particulières surviennent et font surgir l'opportunité, dont je parlais plus haut, d'en finir avec l'apparence de démocratie et les libertés que cette apparence rend nécessaires.

 

Et là est tout l'enjeu.

 

Or, comme le langage est au fondement de toute philosophie et de toute pensée, si nous ne pouvons désigner notre gouvernance actuelle que par des termes manichéens en noir et blanc, nous n'arriverons pas à casser cette logique et ce glissement, parce qu'appeler « démocratie » ou « dictature » le régime que nous connaissons n'est tout simplement juste dans aucun des deux cas.

 

Bien des termes ont été inventés pour qualifier les régimes autoritaires, comme despotisme, tyrannie, et les dérivés comme absolutisme, fascisme, stalinisme, autocratie, et nous avons encore à notre disposition les termes qui permettent de qualifier ce qui est aujourd'hui la panoplie des dérives de notre système comme la ploutocratie, l'oligarchie, etc.

 

J'ai déjà souvent abordé cela, et bien sûr le terme de démocrature est encore un de ceux qui sonnent le mieux, et qui soient les plus efficaces pour faire saisir l'idée que la démocratie est un prétexte à une gouvernance ne tenant aucun compte des revendications et bavardages de la plèbe. L'expression de « démocratie illibérale » est aussi récemment apparue, et est intéressante, mais je doute qu'elle résonne dans l'esprit des gens, le terme « libéral » étant déjà abscons et mal compris par la plupart, alors « illibéral »... On comprend que cela s'oppose au libéralisme, on a tendance à en déduire que cela s'oppose donc à la notion de liberté, et on tombe dans un nouveau manichéisme. En effet, ce terme a d'abord été revendiqué par des opposants au libéralisme, mais il est aujourd'hui employé indifféremment avec « fascisme », « populisme », etc. Par ailleurs, cela n'aide pas à comprendre que le libéralisme n'a pas besoin d'opposants pour porter en lui les germes d'un totalitarisme totalement dénué de caractère démocratique. Ce même libéralisme n'a en fait rien à voir avec la notion de liberté. Et en cela, les confusions avec les termes « libertaire », « libertarien » et autres aident encore moins. Ce n'est pas parce qu'on est opposé au contrôle des marchés que l'on est, dans les faits, pour la liberté d'une manière générale.

 

Le libéralisme porte avec lui d'autres confusions finalement bien commodes, puisque, finalement, on ne sait pas trop ce que désignent les termes « néo-libéralisme », « ultra-libéralisme », « ordolibéralisme », « capitalisme libéral », « capitalo-libéralisme », et comment il faudrait les délimiter. Certains courants de pensée séparent drastiquement le libéralisme et le capitalisme, les prétendant radicalement incompatibles entre eux, puisque le capitalisme se définit par l'accumulation de richesses (capitaux) et le libéralisme portant sur un tout autre domaine : celui du libre marché. On voit pourtant bien que les deux se complètent et marchent main dans la main, au point que les deux termes sont devenus interchangeables, même si les lois « anti-trusts » américaines sembleraient s'opposer à l'accumulation de capital, et donc favoriseraient le libéralisme au détriment du capitalisme. En fait, il suffit d'ouvrir le classement Forbes des milliardaires pour voir que le top 20 est monopolisé par les fortunes de capitalistes américains parfaitement adaptés à ce biome économique...

 

Un autre point à considérer est que tous les courants politiques de gauche ont été dévalorisés au cours du 20e siècle, au point d'être quasiment désactivés. Qu'évoquent aujourd'hui, globalement, des termes tels que « communisme », « bolchévisme », « soviet », « socialisme », « maoisme » ou même « anarchisme » sinon des dictatures de l'est, de la violence, de l'arbitraire, des modèles politiques qui auraient invariablement échoués, bref des tyrannies périmées et d'un autre temps ?

 

De même, « marxisme » est un terme qui donne lieu à d'infinies polémiques, et j'en passe. Ce qui me frappe, c'est qu'à l'inverse, le fachisme n'a pas réellement été combattu par les forces gouvernantes. Sans doute avait-il été considéré vaincu avec la fin de la seconde guerre mondiale, mais dans la foulée de celle-ci, le maccarthysme était bien trop occupé à combattre le communisme dans le monde qu'à s'occuper d'une résurgence éventuelle du fascisme. Or que voit-on ? Qu'aujourd'hui, le seul régime à s'opposer au capitalo-libéralisme qui règne en maître sur le monde globalisé semble être le fascisme, qui renaît dans diverses poches, même si l'on nomme aussi un peu tout et n'importe quoi « fascisme », de nos jours.

 

Mais c'est surtout le terme « populiste » qui est suspect, puisqu'on l'accole aux néo-fascismes pour l'y amalgamer et le condamner par la même occasion, exactement comme on le ferait, du reste, d'un néo-communisme aussi. Alors que le populisme désigne le peuple, et en ce sens, plutôt qu'un synonyme de fascisme ou de communisme, il pourrait être plutôt compris comme un synonyme de la démocratie, qui présente une étymologie équivalente.

 

On le voit, les mots sont empoisonnés, or nous sommes contraints de discuter avec... C'est déjà un premier problème à résoudre, car nombreux sont les exemples, dans de nombreux domaines de la pensée, où la novlangue a fait son œuvre destructrice au point qu'on n'y comprend plus rien, et qu'on peut employer un même mot pour évoquer deux choses opposées, ou parler de la même réalité avec des mots qui paraissent s'opposer.

 

Je ne suis personne pour résoudre ce problème sur mon blog, mais je pense néanmoins qu'il est utile d'y réfléchir. Aussi, je terminerai par une longue conclusion

 

 

Libéralisme, démocratie et totalitarisme

 

On a vu que les vieilles formes tyranniques sont en voie de disparition. La Corée du nord n'est guère plus qu'une curiosité planétaire pittoresque qui effectue lentement sa transition vers le mode de vie globaliste, tandis que les nations phares vivant suivant les dogmes du libéralisme ont plutôt tendance à aller dans la direction totalitaire. Les anciennes dictatures n'ont plus leur place dans le monde actuel, où elles sont trop difficiles à maintenir, mais dans le même temps, le libéralisme, comme les autres formes politiques, est parvenu au stade d'un échec que beaucoup n'ont pas encore réalisé, voulant croire que le libéralisme est « le nouveau monde », tellement synonyme de démocratie qu'on n'a pas le droit de suspecter le contraire, et même tellement la manifestation même de la démocratie dans le monde réel que les deux se confondent forcément. Ainsi, ce qui n'est pas libéral serait illibéral, c'est à dire populiste, fasciste, tout mais pas démocratique.

 

L'autoritarisme étant la marque des dictatures à l'ancienne, il est voué lui aussi à la disparition, ou c'est du moins ce qu'on voudrait nous faire penser.

 

Je crois plutôt que le monde qui s'annonce, et à moins que ce système ne finisse enfin par s'effondrer sur lui-même, aura des caractères autoritaires plus fréquents et plus « pro-actifs » que l'on trouvera toujours un moyen de justifier. Comme nous avons perfectionné nos méthodes d'ingénierie sociale (côté soft de la médaille du totalitarisme moderne), nous avons perfectionné nos moyens de contrôle des populations (aussi appelé « maintien de l'ordre », côté plus rude de la médaille), et je ne doute pas que nous progresserons encore dans ces deux domaines.

 

Tout l'enjeu est de toujours faire passer cela pour la démocratie, en jouant sur les mots et les représentations, en confondant libéralisme, liberté et libertaire, en faisant accepter les débordements par une certaine liberté de parole (quoique de plus en plus réduite) qui ne mange pas de pain (« cause toujours », quoi), et en faisant oublier que le véritable enjeu de la démocratie n'est pas d'avoir le droit de parler en l'air, à tort et à travers et à avoir une opinion sur tout et à l'affirmer sans cesse, mais de permettre, tout au contraire, au peuple et aux gens de ce peuple à se bâtir une opinion responsable et éclairée, basée sur une utilisation judicieuse et de préférence intelligente de la parole, tout cela dans le but de défendre des intérêts qui ne sont pas forcément ceux d'une caste de privilégiés qui tirent les ficelles, mais qui permettent, au contraire, l'existence et la perpétuation d'un bien commun sans quoi tout exercice du pouvoir a forcément une composante illégitime.

 

Nous manquons de termes pour dénoncer les simulacres et la toxicité de l'idéologie dominante actuelle, qui en se cachant derrière les termes de « libéralisme » et de « démocratie » a trouvé les éléments de langage positifs propices à légitimer un pouvoir qui ne l'est pas. Pour le moment, le terme de « capitalo-libéralisme » me semble être celui qui définit le mieux ce système, mais il est encore emprunt d'un caractère largement positif qui évoque les opportunités, le progrès, le bien-vivre qui serait le propre des pays riches. Nous parlons pourtant d'une idéologie qui, certes, a permis jusqu'ici une certaine prospérité, mais dont les effets secondaires en terme de pollution et de déshumanisation principalement, sont à combattre, car ils relèvent d'un totalitarisme rampant qui prétend en réalité de plus en plus régir chaque aspect de nos vies, en opposition totale avec sa fausse prétention libertaire, dont la finalité n'est qu'exploitation et aliénation. Je pense qu'à cet égard, il ne suffit pas d'invoquer Marx et sa lutte des classes, car le problème, s'il est réel, est plus profond. Il ne s'agit pas que d'une lutte des classes, mais d'une prétention absurde à une sorte de transcendance par l'argent et par la possession qui, si elle est effectivement permise par une lutte des classes qui a un vainqueur provisoire, est aussi continuée pour permettre la perpétuation de cette victoire et donc des privilèges de quelques uns au détriment de l'ensemble en même temps que de la majorité, car ce système est sans lendemain en réalité. Ce système de croyance « libéral » a acquis un statut religieux qui rend très difficile de le contester.

 

Mais nous manquons aussi d'un terme qui désignerait par quoi remplacer ce « libéralisme ». Non seulement d'un terme, mais surtout de l'idée réellement profonde et applicable d'un tel système, car ceux qui, actuellement, luttent contre ce système, sont réduits à de petites poches qui n'existent que par des moyens applicables, à ce jour, à petite échelle, comme la décroissance et les micro-mouvements qui en découlent autour de la permaculture et autres mouvements autonomistes, parfois survivalistes, que je vois d'un bon œil, mais qui ne peuvent que vivre en autarcie et ne constituent pas, à mon avis, une véritable réponse au système en train de ravager la planète et l'humain tout autour de ces poches d'impuissance relative. Il est donc important d'y réfléchir... Dans un coin de notre tête, demandons-nous donc : qu'est-ce qui serait mieux que le libéralisme ? Qui serait applicable au moins à l'échelle d'une région, de manière à la fois viable et stable dans le temps, humainement, économiquement, écologiquement, etc., en tenant compte du voisinage, des conditions mondiales, etc. Je n'en ai qu'une vague idée, et je ne sache pas qu'il existe réellement de tels systèmes actuellement, d'où l'importance de lancer ce chantier de la pensée, indispensable avant de passer aux actes, car il est possible qu'à un moment donné, il faudra remplacer le système plus ou moins « de force », peut-être après son effondrement. Sinon, il repoussera sur lui-même, à défaut d'alternative.

 

 

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