Chronique d'un monde en vrac, 2 Dystopies et artifices
Pour le numéro 2 de cette chronique, je voudrais m'attarder un peu sur une certaine tendance du moment à envisager les choses sous l'angle de l'anticipation dystopique. Trois textes ont attiré mon attention sur ce point, et pour déroger un peu à mes habitudes, je les cites d'emblée, les voici :
https://www.dedefensa.org/article/enki-bilal-main-basse-sur-la-memoire-delhumanite
https://www.dedefensa.org/article/remarques-sur-notre-ploutocratie-totalitaire
https://fr.sott.net/article/34604-Ce-que-Blade-Runner-nous-dit-sur-demain
Alors, j'ai trouvé ces trois textes très intéressants, et ce qui m'intrigue tout d'abord est cette espèce de quasi-synchronicité de les voir tous apparaître sur mes sites préférés dans un laps de temps si réduit, par trois auteurs différents.
Je ne m'attarderai pas beaucoup sur les propos de P.-H. Perrier, tout simplement parce que je n'ai jamais lu Bilal, juste parcouru comme ça, car d'abord je suis peu BD, et puis je n'apprécie pas trop ce genre d'esthétique particulière. Je tends toutefois à supputer qu'un mauvais procès est fait à Bilal, comme c'est souvent le cas aux artistes qu'on accuse de porter des tendances sociétales voire civilisationnelles néfastes, alors qu'ils ne font qu'en témoigner et les traduire. Je doute vraiment que Bilal soit une part d'un complot quelconque et même involontairement, pour instaurer ce type de dystopie, sans quoi il y aurait beaucoup d'autres artistes à mettre au banc des accusés. Mais c'est devenu la mode de mettre toutes sortes de chanteurs, comédiens, réalisateurs, sur ce banc, comme complices des illuminati satanistes franc-maçons, et je ne sais quoi...
Le fait est que j'ai écrit aussi moi-même pas mal de textes d'anticipation et dystopiques, en m'inspirant simplement de ce que je voyais, avais lu, etc. Si on les lisait aujourd'hui, je pense qu'il ne faudrait pas faire beaucoup d'efforts pour y trouver une complicité supposée avec telle ou telle mouvance liée au NWO ou je ne sais pas quoi, et d'ailleurs, pratiquant le « néo-chamanisme », ne suis-je pas automatiquement un sataniste, démoniste et hérétique moderne ?
Ceci n'enlève pas une certaine pertinence à son propos. Mais voilà, les artistes sont le plus souvent tout simplement messagers des tendances qu'ils observent dans la société, et dont ils déduisent des choses, qui peuvent s'avérer totalement ou partiellement justes ou fausses, dans le présent ou dans le futur, puisque ce n'est que leur vision. Et si la vision de Bilal en fait tellement turbiner certains, c'est peut-être surtout parce qu'elle a une pertinence indéniable (que je ne peux attester puisque je ne l'ai pas lue, mais telle est mon intuition).
C'est donc faire l'erreur toute bête de tirer sur le messager... Comme tirer sur Phidippidès revenant de Marathon.
Accuser les artistes de faire un travail de sape est absurde, puisqu'ils se contentent de suivre des modes ou de s'en distinguer... et c'est par le jeu autour de cette norme que certains se trompent, certains finissent par avoir raison, sans qu'on puisse dire que certains avaient vu juste et misaient sur la fin qui les arrangeait... Les artistes ne sont pas des lobbyistes, et il serait mieux avisé de cibler les publicitaires, que l'on assimile trop souvent à des artistes, et voilà le simulacre...
Il me semble que ce mauvais procès se fonde plutôt sur la tendance actuelle à tout réduire à un certain manichéisme. Puisque Bilal relaierait un récit gnostique, c'est qu'il serait forcément anti-chrétien ? Antéchrist ?
Avec ou contre nous, on connaît le refrain...
Le thème de l'opposition au transhumanisme est l'autre fil rouge de l'auteur :
« Pourquoi l’auteur s’appuie-t-il sur un personnage infesté par une puce numérique au lieu de mettre en scène des résistants qui tableraient sur l’usage de leur propre mémoire afin de réorganiser ce monde en perdition ? »
Je me demande pour ma part pourquoi l'auteur devrait forcément avoir un parti pris, pourquoi il devrait l'afficher, et pourquoi ce parti-pris devrait-il être « anti » pour ne pas être suspect d'être « pro ». On navigue malheureusement dans un dualisme dont sont imprégnés beaucoup trop de croyants monothéistes, à une époque où on pourrait naïvement croire que la pensée s'est élevée au-delà de ça.
Dans un de mes nombreux romans non publiés, j'avais pris ce parti de mettre en scène des « rebelles » agissant par le biais d'un monde virtuel, je l'avais fait lire, et l'accueil avait été légitimement mitigé : mon approche donnait une illusion de simplicité au processus de rébellion contre un système planétaire, alors que tout nous montre qu'il est extrêmement difficile de le renverser, et que tout porte à croire que son seul et pire ennemi n'est autre que lui-même, de par sa non-viabilité à long terme, et c'est pourquoi le transhumanisme ou le concept de smart city, très énergivores et très gourmands en ressources, à l'heure dite de l'anthropocène, me semblent totalement irréalistes, et donc aujourd'hui à considérer avec beaucoup de scepticisme et un soupçon de dédain... on verra si l'avenir me contredit.
En attendant, je crois que nous nous perdons dans des récits pétris de mentalité hollywoodienne et chrétienne où le bien doit éternellement se battre contre le mal, alors que ce combat renforce et maintient mécaniquement la force de l'un et de l'autre. Aucun ne peut ni gagner ni perdre... Les batailles s'enchaîneront mais cette guerre vaine durera toujours... Il faut passer à autre chose.
Par ailleurs, sur cette critique, n'y a-t-il pas déjà assez de médiocres films pour mettre en scène une telle chose ? Des films auxquels j'ai voué un certain intérêt jusqu'à une époque récente, telle que V pour Vendetta, Matrix, etc. Jusqu'à réaliser à quel point tout cela est simpliste, immature et porteur de faux espoirs, d'émotions faciles pour le plus grand nombre, et ainsi de suite. Ce n'est pas avec des récits de ce genre, ou des « Che » virtuels se battent contre des ogres virtuels, qu'on va arriver à quoique ce soit en terme de pensée, d'évolution sociale, de saut anthropologique, ou quoi que ce soit d'autre.
C'est pourquoi, en attendant, les récits à la Bilal ou à la Blade Runner, plus descriptifs qu'adolescentairement rebelles sont parfaitement convenables pour exprimer toute l’infamie actuelle et à venir. C'est d'ailleurs une remarque que certains proches m'ont fait en me lisant, que je pouvais avoir tendance, aussi, à tomber dans la facilité de dénoncer primairement les choses, en les opposant de manière duelle.
Dans le fond, il ne s'agit peut-être que d'une querelle de chapelle, les chrétiens, qui actuellement parlent un peu plus fort qu'il y a quelques temps, ayant tendance à voir du satanisme et de l'hérésie dans tout ce qui n'est pas leur vision biblique immature et binaire, les conduisant d'ailleurs à appliquer ce crible binaire à tout ce qui dépasse leur vision étriquée...
La vision de Bonnal, toujours iconoclaste, parfois contradictoire et toujours un peu provocateur et narcissique à la fois, n'est pas non plus dénuée d'intérêt, mais je n'ai pas particulièrement de commentaire. Je dirais simplement qu'hélas, oui, notre époque a de curieux airs dystopiques, je l'ai souvent dit par rapport à 1984 qui, dès lors qu'on ne le prend pas au pied de la lettre, se retrouve largement dans le monde actuel, et encore plus dans le concept des « smart city » qui partent de Chine, à base de caméras partout, capteurs omniprésents et enregistrements de chaque habitant pris individuellement... et qui s'importe en occident il est vrai, jusqu'à ce qu'on arrive au plafonnement technique et énergétique d'un système aussi aberrant. Ceci est le monde de Blade Runner ou de Minority Report, dérivés des écrits de P.K. Dick, souvent bien plus intéressants que ses adaptations cinématographiques, et en continuant un peu sur cette pente glissante, on arrivera peut-être bientôt à devoir mettre une pièce dans la porte d'entrée parlante de notre appartement, pour qu'elle nous laisse entrer chez nous (cf Ubik).
Toutefois, le vrai totalitarisme ne naît pas de la technique. C'est simplement que la technique permet de le rendre plus performant. Ce qui est triste n'est pas la technique en soi, mais le courant civilisationnel et de pensée dans lequel elle s'inscrit, et on peut se demander si une approche si néfaste est une fatalité, ce qui est peut-être trop souvent la tendance de pensée des écrivains d'anticipation dont je fais partie, et dont étaient Dick, Bradbury, etc. (note : je ne me mets pas au même niveau qu'eux puisque je ne publie (presque) pas, mais on fait quand même la même chose)
Si l'on suit le raisonnement de Bonnal, tout mène et tout converge vers le totalitarisme abêtissant dans lequel nous vivons. Je cite son article :
« Chesterton décrit le péril riche vers 1905 au moment où on finance déjà la destruction de la Russie, la mise au pas des Boers et où on prépare la création de la Fed en Amérique. Et cela donne (un nommé jeudi bien sûr, j’ai écrit dessus) :
« Les pauvres ont été, parfois, des rebelles ; des anarchistes, jamais. Ils sont plus intéressés que personne à l’existence d’un gouvernement régulier quelconque. Le sort du pauvre se confond avec le sort du pays. Le sort du riche n’y est pas lié. Le riche n’a qu’à monter sur son yacht et se faire conduire dans la Nouvelle-Guinée. Les pauvres ont protesté parfois, quand on les gouvernait mal. Les riches ont toujours protesté contre le gouvernement, quel qu’il fût. Les aristocrates furent toujours des anarchistes ; les guerres féodales en témoignent. »
A cette époque les milliardaires US sont déjà tout-puissants et veulent reformater le monde. Cela donnera les guerres mondiales et la Révolution russe. Le bordel ultime, c’est la société ouverte et son talon de fer, et son anéantissement des peuples, et ses idées chrétiennes bien folles, et sa censure féroce. Soros fut célébré l’an dernier, Greta cette année, notre tête au bout d’une pique sera l’homme de l’année en 2020. Roland Barthes dénonce déjà dans ses Mythologies l’alliance, dans la presse féminine, du capital et des valeurs gnangnan/humanitaires devenues depuis terroristes. L’arme de destruction massive c’était Marie-Claire.
De cela aussi j’ai déjà parlé. Je vais ajouter une réflexion sur ce socialisme des milliardaires grâce à l’économiste rebelle Charles Hugh Smith qui écrivait dernièrement, écœuré par la montée indécente et ubuesque des indices boursiers : « Un «marché» qui a besoin de 1 billion de dollars en impression panique-argent par la Fed pour conjurer une implosion karmique attendue n’est pas un marché… »
Non, c’est un self-service pour renforcer les rupins humanitaires.
C.H. Smith dénonce donc le "Socialisme de la Réserve fédérale pour les super-riches." Dans notre dystopie-oxymoron on a à la fois le triomphe du bolchevisme culturel et des super-riches. La ploutocratie totalitaire et sociétale qui enfonce ce monde en enfer a besoin des banquiers centraux pour imprimer, presser et oppresser des billets et des âmes. »
Je ne peux en disconvenir. Socialisme, libéralisme, capitalisme, tout converge en effet. Seulement, il n'y a pas de fin de l'histoire. Les lignes de force ne s'interrompent pas, elles continuent, se dévient un peu, rebondissent, peuvent se perdre ou se renforcer, aussi il est impossible de savoir ce qui surgira de notre époque mais on peut dire au moins une seule chose : ce sera une autre époque.
Et cela reste à faire et à bâtir... Donc ne nous apitoyons pas trop sur cette époque navrante et inhumaine, et voyons que l'élan nous la fera traverser collectivement, et même si c'est au prix de guerres, cataclysmes et destructions massives, qui semblent d'ailleurs relativement inévitables. Et même si la population humaine en était drastiquement réduite, honnêtement ça ne serait pas un mal. Nous pouvons nous lamenter sur nos trajectoires individuelles, celles de nos descendants et de nos enfants, cela est parfaitement légitime, tout comme il est légitime de fustiger cette triste époque, et je ne suis pas le dernier à le faire.
Makis je ne crois pas à un totalitarisme technologique global. Il y a des velléités, des tentatives, tout cela progresse, c'est vrai, mais cela aura une fin comme l'empire soviétique en a eu une, comme l'empire américain est en train de connaître la sienne, etc. Nous sommes déjà dans une impasse énergétique, qui à mon avis n'a pas d'issue et c'est tant mieux lorsqu'on regarde les choses de très haut. C'est aussi pourquoi l'hystérie climatique ne m'atteint que dans l'agitation qu'elle répand et pas dans les peurs qu'elle tente d'imprimer. Parce que cette agitation est sans objet, sans utilité ni efficacité, et que son seul produit est l'augmentation des pathologies mentales liées à l'angoisse de vivre dans un tel contexte. Quant à la peur, elle ne changera rien.
Mais j'en reparlerai.
L'article de futur hebdo publié par sott.net met l'accent sur la problématique écologique, justement. Il est vrai que dans son roman, Dick met en exergue un monde où les rares animaux sont pour la plupart des machines, car la vie animale a été presque totalement détruite par l'homme. Ce qui signifie qu'il a remporté la bataille contre la branche sur laquelle il est assis : l'environnement.
Comme dans tout roman dystopique, il y a 53 ans, Dick grossit les traits, pousse ceux-ci à leur extrême. Pas seulement la destruction de la biodiversité, mais son anéantissement. Il y a tout de même très peu de chances qu'on y arrive... D'ailleurs « Blade Runner » se passe en effet en 2019, et nous pouvons constater l'exagération due à l'amplification de la peur, et à la caricature de la trajectoire de la société qui est la marque du genre. Exagération oui, mais réalité du problème également... et problème dont la trajectoire se poursuit... jusqu'où et quand ?
Pour le reste, la problématique de l'humain artificiel est en effet le centre du livre, en prolongement de celui des animaux artificiels. Que dire sinon qu'en effet, cette problématique est actuelle ?
Mais cette problématique s'appuie tout de même essentiellement sur des fantasmes à ce jour invérifiés. La cybernétique progresse, je ne le nie pas. Mais si l'on voulait mettre les choses en abime, il y a une cinquantaine d'années, Dick avait senti que le transhumanisme serait un sujet en 2019. En 2019, nous projetons, comme Dick à l'époque, que cela va devenir une réalité. En 2070, nous en serons peut-être encore au même point, à nous dire « Et si, demain, très bientôt, l'humain devenait artificiel ? ».
Lorsqu'on va vers l'avant, on a toujours l'impression que l'horizon se rapproche. Mais c'est une illusion. Nous nous approchons des objets qui sont entre nous et l'horizon aussi vite que de ceux qui sont au-delà de l'horizon. L'horizon est un concept, et il est par essence inatteignable. Le problème est que nous ne pouvons pas réellement discerner ce qui relève du concept de ce qui relève du tangible... Aujourd'hui, l'humain totalement artificiel n'est qu'une idée, un horizon. Et demain, sera-t-il un objet tangible ?
Je conclurai cette chronique ainsi : l'humain semble passionné par ses peurs. Ses craintes se fixent sur des objets aussi bien que sur des concepts. La mort, l'artificialité, l'environnement, sont autant de concepts qui le ramènent à ses limites, et qui catalysent naturellement ses passions. Dans une période d'agitation et d'incertitude comme la nôtre, ces passions se concentrent et explosent autour des thèmes de la sexualité, du genre, de l'immortalité, de la fin des temps, du monde qu'il faut sauver, à moins que ce ne soit juste nous de notre propre folie. Le sens de la vie, en somme. Et il est naturel que les courants religieux se collisionnent et, par fission, engendrent, renforcent ou détruisent de nouveaux ou d'anciens courants... C'est une époque charnière, et il y a fort à parier qu'on assistera à une multiplication de religions nouvelles (artificielles comme le sont toutes les religions... voilà au moins une chose dont l'artificialité est avérée). Le climato-hystérisme en est une, venant simultanément masquer et mettre en exergue les effets de la civilisation humaine sur la planète, mais il y en aura d'autres, d'ici la fin du siècle, et en ce sens, c'est Malraux qui aura finalement raison, lorsqu'il disait que ce siècle serait spirituel ou ne serait pas, à supposer que l'intégrisme religieux soit à confondre avec la spiritualité... Le scientisme est un autre de ces intégrismes, supposé nous sauver de nous-mêmes en nous annihilant par fusion dans un rien artificiel qui ne sera plus nous et, par conséquent, si la planète est détruite, ce ne pourra plus être par nous, mais par le golem que nous aurions créé pour nous surpasser. Ainsi, l'honneur serait-il sauf ? C'est en moquant ces tendances religieuses qu'on voit mieux leur absurdité et leur démence. Rien ne nous sauvera. Les choses suivront leur cours, nous avec. A un moment, il y aura un choc que personne n'entendra, et qui s'est peut-être déjà produit. A partir du moment où il se sera produit, nous en vivrons les répliques sempiternelles jusqu'à dispersion finale de l'onde de choc, qui impliquera la dispersion de l'énergie qui aura participé à la causer, et dont nous serons une part. La conséquence finale de ce choc sera donc la dispersion de cette civilisation aux prétentions globales, artificielles et scientistes... Et là, on pourra parler de « nouvel âge », mais on peut se demander s'il sera vraiment préférable, d'ailleurs...