Limites et dérives de la CNV, penser plus loin que la non-violence apparente et que l'aseptisation
Depuis mon article sur la CNV de mars 2018, je reçois de plus en plus de messages de personnes ayant eu à déplorer des conséquences néfastes voire carrément désastreuses dues à une mauvaise utilisation de la CNV. Suite à un échange tout récent dans lequel je posais certaines réserves sur la CNV en l'ayant vue une énième fois vantée sans recul ni la moindre précaution oratoire, je voudrais approfondir mon propos d'alors.
http://seilenos.canalblog.com/archives/2018/03/11/36216694.html
Je commence par quelques précautions oratoires moi-même. Même si mon article présent est une critique ouverte et sans concession de la CNV (il faut bien que quelqu'un s'y colle), mon but n'est aucunement de dénigrer la CNV, qui comporte comme tout outil, ses forces et ses faiblesses, ses avantages et ses inconvénients. Ce n'est pas à moi de promouvoir une technique à laquelle je ne crois pas, bien d'autres le font suffisamment, et ce qui me dérange, c'est le tableau idéalisé qu'on en fait bien trop souvent, par rapport aux conséquences qui en sont assez régulièrement observées, et auxquelles certaines personnes choisissent de demeurer aveugles, ou tout du moins de les ignorer, de les dénier ou de les relativiser, afin, probablement, de ne pas entamer l'investissement humain qu'ils ont mis dans ce type de techniques auxquelles ils croient avec ferveur.
Je suis moi-même assez fervent de l'écoute respectueuse, et je suis parfaitement capable de reconnaître les bienfaits de diverses techniques en rapport avec le coaching et le développement personnel, mais dans le même temps, je ne sais pas me fermer à leurs aspects négatifs et parfois délétères. Un monde sans conflits, où régneraient l'écoute et le respect serait souhaitable, je dirais même plus subtilement, pourrait paraître souhaitable à première vue, mais il se trouve que l'univers, l'humain et la société imposent un contexte peu compatible avec ces conceptions bisounours, souvent vendues par des gens qui en vivent et ont tout intérêt à promouvoir ces choses sans critique.
De la même manière que j'avais défendu l'idée que l'écologisme est une idéologie qui permet essentiellement de préserver le système de consommation polluante dans lequel nous vivons afin de le faire durer, le principal problème des techniques de développement personnel, de communication et autre, sont que, sans changer en profondeur les conditions sociales, permettent de rendre acceptable cette société inhumaine de profit et d'instrumentalisation de chacun. Toutes ces techniques ont en commun d'être apparemment mues par de bonnes intentions, probablement largement inventées ou promues par des personnes qui souffrent dans une certaine mesure des conditions sociales, et veulent les améliorer, ou probablement aussi, par d'autres vulgaires inventeurs de méthodes pour accepter la torture et l'inhumanité d'un monde fondé entièrement sur la compétition, le profit et l'exploitation, bien plus bas dans l'échelle de la conscience que les premiers.
En faisant une petite recherche, je me suis aperçu que les articles de critique de la CNV foisonnent depuis déjà un moment. Par exemple, celui-ci fustige tout comme moi le fait que la CNV s'intègre parfaitement, comme toutes les autres techniques de développement personnel, dans le paysage de la déshumanisation moderne, qu'elles ne rendent malheureusement que plus acceptable. Ces techniques ne font évoluer les choses que de manière superficielle.
J'ai aussi appris que la CNV avait été transposée aux relations parents-enfants :
Si vous lisez ou survolez l'article ou les échanges, vous vous apercevrez que beaucoup ne sont pas dupes, quant à la CNV, ce qui a plutôt tendance à me rassurer, je cite :
« Et si la violence résidait en fait dans la situation même (un adulte veut imposer sa volonté à un enfant ) et pas seulement dans la façon dont elle est gérée ? Et si la violence n’était pas dans la forme mais dans le fond ? »
« Oui, souvent, CNV et autres techniques du même genre virent presque immanquablement à la manipulation. »
Sans aller jusqu'à dire que la CNV est violente, elle comporte en tout cas une certaine dose de violence. Et quant à savoir si la CNV vire presque immanquablement à la manipulation, c'est une hypothèse qui, plus je réfléchis à la chose, et plus je lis des témoignages à son propos, se rapproche, en ce qui me concerne, de plus en plus de la certitude... Mais j'y reviendrai plus loin.
Les arguments pour critiquer la CNV ne manquent pas. J'ai évoqué cette quête naïve – pour ne pas dire niaise - de positivité, alors que le positif attire le négatif et inversement. Je fais moi aussi appel à la positivité parfois pour ne pas sombrer dans une critique toute noire du monde à la Schopenhauer, mais ne la cultive pas en soi. Aussi, j'ai souvent cru que l'on pouvait réellement obtenir un monde meilleur avec des techniques bienveillantes, avant de me rendre à l'évidence. Ces techniques ne sont guère plus que de l'hypocrisie bien policée. Or les gens captent l'hypocrisie, tout comme les enfants perçoivent la manipulation. On obtient tout au mieux des résultats temporaires et superficiels, dont l'inauthenticité n'attend que de nous sauter à la gueule. D'ailleurs, le constat fait en 2018 ne cesse de se vérifier : à chaque fois que j'ai un échange avec quelqu'un qui prône la CNV, l'échange est désagréable, de type passif-agressif, contient sa dose d'interprétations, de propos excessifs ou outranciers, de psychologisation hâtive, de chipotages fatigants, de mauvaise foi et je n'ai jamais eu le sentiment d'être réellement en face de quelqu'un qui maîtrise ce qu'il vend, à moins que le produit final ne soit réellement que cela... ? Ce qui me fait penser que les amoureux de la CNV sont essentiellement des gens qui l'utilisent pour tenter, souvent vainement, de maîtriser et de cacher leurs tensions, leurs névroses, ou simplement d'éviter les conflits, idées largement confirmées par des échanges avec des personnes ayant été confrontées à l'utilisation de la CNV. Cette technique leur apparaît, selon toute vraisemblance, comme un système de sauvetage face à leurs failles qu'elles ne savent pas comment affronter. Tout est alors bon pour les contourner.
Sur la communication ou l'éducation positive dans la relation parents-enfants :
http://www.slate.fr/story/104319/education-positive
C'est comme si on ne pouvait pas imaginer un entre-deux raisonnable entre l'agression et la domination d'une part, et une totale aseptisation de la communication d'autre part. Apprendre à être simplement soi-même, franc, authentique et respectueux, pourquoi cela ne suffirait pas ? Par rapport à cela, la CNV m'apparaît être simplement une approche par la facilité. Plutôt que d'assumer nos difficultés de communication, nos différences internes en tant qu'êtres humains n'ayant pas les mêmes orientations (cf le MBTI), on préfère niveler, tout ramener à un niveau où l'on a l'illusion que le contrôle reste possible. Certes, la CNV aide à ne pas s'énerver face à des interlocuteurs qui ne nous respectent pas (ne nous cachons pas que c'est le principal objectif), et elle aide à mieux cerner nos émotions quand nous ne sommes pas au clair avec, mais elle ne nous aide pas à les assumer ni à les exprimer sainement. Tout au contraire, elle nous pousse à en faire porter le poids à l'autre, et à lui demander de nous aider à la solutionner ou à l'empêcher pour une prochaine fois. C'est ainsi que fonctionne la CNV. Vous obligez l'autre à prendre en compte votre colère et à modifier son comportement pour l'éviter. Lorsque cela est ponctuel, ce n'est pas grave. Mais lorsqu'on vous impose ce type de chose en entreprise par exemple, vous devriez comprendre qu'il s'agit, en fait, de coercition déguisée, visant à contrôler votre comportement et votre travail en toutes circonstances. Cf l'article sur mediapart cité plus haut.
Un autre point que mentionnent certains adversaires de la CNV porte sur son intitulé même. J'ai dit dans mon précédent article que la non-violence n'est autre qu'une forme de violence internalisée, une version en fait aseptisée de la violence exprimée de manière franche et brute. Cela rend cette violence plus socialement acceptable, et ce faisant, la favorise d'une certaine façon. C'est ainsi que la CNV ne nous aide pas à faire évoluer le monde vers plus d'humanité. Tout au contraire, la dynamique de la CNV va dans le sens d'une robotisation émotionnelle, dans laquelle il serait mal vu de se comporter tout bêtement en humain exprimant ses émotions de manière proportionnée, ce qui reste encore la meilleure façon de bien la faire comprendre et prendre en compte aux autres. De plus, le terme « non-violente » est trompeur. En effet, il est largement admis en psychologie que l'inconscient ne prend pas en compte la négation. Il ne capte donc, dans l'intitulé, que le mot « violente ». Si l'on vous demande de ne pas penser à un ours blanc, à quoi pensez-vous ? Et bien il en va de même si l'on vous suggère de ne pas pratiquer la violence. Suggérer une communication non-violente induit en soi-même la charge de la violence, qui demeurera une tension inassumée dans l'esprit de l'utilisateur, et que j'ai toujours ressentie quand on a voulu l'appliquer avec moi. C'est sans doute pour cela que l'on a proposé d'autres termes, tels que « communication assertive » ou « communication consciente ». Avec ces tournures tout aussi new age et coaching-compatible, on maquille encore les choses pour ajouter un sur-vernis hypocrite qui vise à rendre la critique plus difficile, exactement à la façon de la novlangue...
J'ai lu également que même le milieu scolaire avait été pénétré par la CNV. J'ai été confronté à des témoignages évoquant la CNV dans la famille, le couple, ayant donné lieu à certaines situations désastreuses conduisant même à la mise en danger de certaines personnes. On m'a dit que c'était à cause d'une utilisation pervertie de la CNV, ce en quoi je suis parfaitement d'accord, seulement voilà, je pense que la plupart des gens ne sont tout simplement pas aptes à cette technique, pour des raisons qu'il serait trop long de détailler, mais qui se rapportent au fait que, comme nous sommes tous différents, enclins à des structures et des économies psychiques différentes, ainsi qu'à des hiérarchies des systèmes cognitifs différents, il est inévitable que certaines personnes ne pourront jamais facilement nommer ou reconnaître leurs émotions. La CNV est certes, justement, utilisée dans le but de mieux les connaître, seulement il est vraiment illusoire de croire que cela sera aussi bien assimilé par tous. Ainsi, selon moi, les cas de manipulation parfois graves que l'on m'a raconté ne sont pas nécessairement dus à une utilisation pervertie de la CNV par des personnes malveillantes, mais bien à une utilisation forcenée et maladroite de cette technique, par des types de personnes qui doivent varier du manipulateur compulsif jusqu'à des personnes parfaitement intentionnées, mais inaptes à maîtriser la technique, pouvant donc conduire soit à faire porter trop de responsabilités envers les autres à force de tirer la couverture vers soi par des demandes émotionnelles que les autres ne savent pas assumer ou contrer (reconnaître ses émotions ne suffit pas, si on ne sait pas les vivre et les assumer), soit à se faire bouffer parce qu'on est trop gentil et qu'on a trop tendance à faire du chemin vers l'autre en reconnaissant mieux les émotions d'autrui, et en travestissant les siennes que l'on ne sait pas vraiment nommer, reconnaître ou assumer devant les autres.
Ce que je dis ici, c'est que la CNV, si elle n'est aucunement destinée à la manipulation, semble néanmoins aboutir à celle-ci dans de très nombreux cas, car les rapports humains se situent dans des contextes qui complexifient énormément les choses, et sont souvent emprunts de rapports de pouvoir. Les personnes dépourvues de ce type d'élan sont extrêmement rares, tout comme sont rares les personnes véritablement capables de s'arrêter pour observer leurs émotions et les nommer, qui elles bénéficieront le plus de la CNV, alors que ce ne sont pas forcément les plus en difficulté avec ces problématiques. Il existe des personnes totalement inhibées, qui ont beaucoup trop de chemin à parcourir avant d'y arriver, même si la CNV pourrait aussi les aider, si on les y forme correctement. Cependant il semble logique de penser que ces mêmes personnes, si on leur impose ce genre de techniques, sont les plus vulnérables à des dérives, si elles sont exposées à une personne plus habile émotionnellement, qui utilisera, intentionnellement ou non, ce type de technique à son profit en instrumentalisant les émotions de l'autre, sous couvert d'une bienveillance de surface, permise par la présentation d'une technique apparemment inoffensive, ce qui abaisse la défense de la personne trop naïve ou trop confiante. C'est précisément entre autres parce que la CNV est présentée comme une approche bienveillante qu'elle peut d'autant plus exposer des personnes de ce type de profil, et donc il est abusif de dire que la CNV est totalement neutre dans le processus. De même, la publicité angélique qui lui est trop souvent faite suscite l'engouement et diminue la méfiance des plus réceptifs. C'est pourquoi je m'insurge contre ces publicités sans prudence. Pour avoir vu à l’œuvre de très près des dynamiques sectaires, je conçois très bien comment la CNV peut être détournée par toutes sortes de manipulateurs, plus ou moins inoffensifs ou toxiques (je n'oublie pas non plus que la lutte anti-sectes est une autre forme de dérive elle-même souvent sectaire typique en France, mais je ne nie pas l'existence de dérives au sein de structures existantes). Pour ces cas-là, je n'admets par l'objection que la CNV n'a rien à voir là-dedans. Même si la CNV n'est utilisée à cette fin que comme une allégation fallacieuse, c'est bien son aura qui permet que ces abus fonctionnent, d'où la nécessité d'un recul critique sur la CNV, comme sur la publicité qui lui en est faite. Le simple fait que des gens sont prêts à se livrer à des manipulateurs sous l'excuse de la CNV devrait permettre de comprendre que la CNV suscite en soi une fascination. Ce n'est certes pas de la faute de ses fondateurs, qui n'imaginaient sûrement pas de tels détournements. En revanche, il est de la responsabilité de ses promoteurs actuels d'avertir sur ces risques (tout comme un instructeur d'arts martiaux est censé au moins avertir et se désolidariser de toute utilisation agressive des techniques qu'il enseigne), au lieu de continuer à en faire une présentation béate, qui conduit à se demander s'ils ne sont pas eux-mêmes un peu captifs d'une idéalisation de la technique. Quand je vois avec quelles manières tatillonnes, presque maniaque et courroucée, certains la pratiquent, je suis très enclin à le croire... On dirait vraiment qu'il s'agit de quelque chose de sacré et d'intouchable. Ainsi, l'ironie de mon ancien titre sur le produit marketing qui sauverait le monde m'apparaît aujourd'hui sous une lueur moins comique, et davantage consternante. D'autant que, comme je l'ai déjà dit, ces manières rendent peu crédible le portrait idyllique qu'ils font d'une technique qu'ils ne parviennent pas eux-mêmes à utiliser... A croire que les bons utilisateurs sont en fait l'exception, ou bien est-ce juste moi qui ai une perception biaisée ?
Je ne suis d'ailleurs pas le seul à me poser de sérieuses questions sur les dérives manipulatoires de cette technique :
http://parentsaparents.fr/cnv-manipulation/
Lisez donc aussi un peu les commentaires, vous en trouverez bien un ou deux aussi sévères que moi-même, et peut-être ceux qui doutent encore du bien-fondé de ma méfiance envers cette technique y verront-ils plus clair à ce propos. Je sais bien quelle sera l'éternelle objection de mauvaise foi : « Mais ça, ce n'est pas de la CNV ! » (ou encore "tu n'y connais rien !") Et pourtant, c'est présenté par tous ceux-ci comme de la CNV, et la personne qui subit ces techniques n'est pas forcément en mesure de s'en rendre compte. Elle en nourrira forcément un rejet de la chose, et vous aurez beau lui dire que ce n'était pas de la CNV, celle-ci aura vécu dans son être le potentiel manipulatoire induit par la technique, que l'on considère que c'est ou que ce n'est pas vraiment de la CNV. Ces considérations puristes et rhétoriciennes ne m'intéressent pas, car elles ne servent que la mauvaise foi de ceux qui les profèrent, probablement parce qu'ils ne veulent pas voir les choses en face, travers si commun chez l'être humain. Même si ce n'est pas du tout de la CNV qui est réellement utilisée dans ces cas là, cela est fait au nom de la CNV, ce qui revient au même : ceux qui pratiquent cela croient réellement pratiquer la CNV, et se croyant ainsi investis d'une moralité supérieure, se croient tout permis. C'est une chose que l'on observe dans d'autres mouvances idéologiques, ce qui tend à indiquer que ce qui se cache réellement derrière tout cela, c'est un embrigadement que ceux-ci voudraient étendre à d'autres. La CNV n'est alors plus un simple outil, elle est métamorphosée en un mème auto-reproducteur, qui agit ses propres promoteurs dont certains sont carrément fanatisés, afin de se perpétuer et de se répandre. En fait, bien des promoteurs et défenseurs de la CNV se comportent comme de vulgaires zélateurs. Je n'ai pas dit « tous ». Le résultat ironique est qu'ils braquent leurs interlocuteurs contre la technique, prouvant par la même que leur pratique est totalement contre-productive, si ce n'est inapplicable par la plupart des gens, comme j'ai tendance à le penser. C'est ce que j'ai ressenti à chaque fois, et beaucoup de personnes partagent cette opinion, même si les défenseurs de la technique se cachent derrière leur petit doigt et refusent d'entendre et de prendre cela en compte, ce qui, là aussi, est très intéressant et parlant de la part de personnes prônant l'écoute et la prise en compte des émotions et besoins d'autrui. Sans dire que cela disqualifie absolument la technique, qui peut demeurer utile dans bien des circonstances, cela la disqualifie tout du moins en tant que méthode magique telle qu'elle est très souvent mise en valeur.
Si l'on analyse ce qui est dit dans l'article ici citée, il apparaît que l'apprentissage de la CNV est un processus long et complexe, souvent comparé à l'apprentissage d'une langue, si on ne veut pas tomber dans des dérives déjà dénoncées plus haut. Cela confirme mon idée : une technique aussi complexe, qui voudra vraiment prendre le temps de l'utiliser correctement ? Cela explique aussi pourquoi les premiers zélateurs de cette langue la parlent finalement si mal... Elle est complexe, mal comprise, et rien qu'en cela, inapplicable pour la plupart, alors même qu'elle s'est relativement diffusée dans la société, accessible à tous. Chacun veut imposer son chinois aux autres, tout en le parlant d'une manière dégueulasse soi-même. Comment avoir foi dans une telle technique, au moins dans le domaine de la communication inter-personnelle ? Pour l'apprentissage de ses propres émotions, c'est autre chose, bien sûr, car il s'agit ici d'un langage interne entre soi et soi, tant qu'on ne l'impose pas aux autres et d'ailleurs... imposer une technique aux autres sous prétexte qu'on est convaincu de son intérêt, doit-il être considéré comme « non-violent » ?
Autre point :
« Reste que même si notre interlocuteur a fait ce nettoyage intérieur et s’exprime clairement en Communication NonViolente, son propos peut tout de même nous paraître rude. C’est peut-être que nous n’avons pas l’habitude qu’on nous parle de manière vraie, authentique. »
Je reste extrêmement circonspect face à cette affirmation. Je suis moi-même parfois assez rude et très souvent authentique dans ma manière de parler, et dans ces cas là, la dernière de mes prétentions serait de m'affirmer non-violent. Au contraire, dans ces cas-là, j'assume la rudesse de ma franchise, que quelques personnes m'ont à juste titre reproché. Obliger quelqu'un à croire que la rudesse ne comporterait pas de violence est déjà un mensonge. Par ailleurs, j'en suis désolé, mais rudesse et authenticité sont deux choses très différentes et sans rapport. Lorsqu'on s'exprime ou qu'on agit de manière authentique, on peut tout aussi bien être doux et attentif à ne pas brusquer l'autre tandis que l'on exprime la véracité de son être. Parfois, brusquer fait aussi partie du respect, lorsque l'on estime que l'autre a besoin par exemple d'un petit coup de pied au cul, mais alors il est question de tout sauf de non-violence. Croire cela, c'est se mentir à soi-même. Si, donc, des personnes croient que la rudesse doit, dans le cadre de CNV, ne pas être considérée comme de la violence, c'est qu'elles évoluent dans une réalité parallèle quand elles sont dans l'univers de la CNV. Si une personne alléguant d'utiliser la CNV se montre rude pour se faire respecter, c'est son droit légitime, mais il est permis alors d'affirmer que la CNV n'est pas non-violente en toute circonstance, et que par conséquent elle usurpe déjà son propre nom. Qu'utiliser alors ce nom de CNV pour exercer de la violence sans l'assumer est une énième hypocrisie, ainsi qu'une lâcheté et un manque de sincérité envers soi-même, qui se traduit par le fait de ne pas assumer ni reconnaître sa propre violence, ce qui du coup en favorise l'utilisation et même peut-être l'abus. Un comble pour une technique censée conduire justement à la sincérité et à la connaissance de soi.
« Les propos partagés dans ce mode de communication authentique peuvent être fort, difficiles à encaisser. »
Comment dire mieux qu'ils peuvent être violents ? Je vous le demande... L'authenticité est encore là une fausse excuse. Si l'on est non-violent, on n'est pas violent. Car 2+2 = 4. On ne peut se permettre des échanges rudes que si l'on connaît assez bien la personne pour être sûr qu'elle n'en pâtira pas. Autrement, employer « CNV » pour ça n'est qu'imposture, mensonge sur la marchandise. Le fait que des personnes puissent se convaincre que quelque chose de difficile à encaisser n'est pas violent montre qu'elles sont probablement déjà plus ou moins sous un syndrome de Stockholm ou quelque chose d'approchant, comme la volonté d'adhérer à l'opinion d'un groupe plutôt qu'à une vérité précise. Souvent, il y a conflit entre l'adhésion envers la vérité et l'adhésion à l'opinion du groupe, et la crise actuelle nous en fournit de très nombreux exemples. C'est plus souvent l'opinion du groupe qui est choisie, car fournissant une sécurité affective plus immédiate.
Une dernière critique que je ferai à la CNV est qu'elle participe paradoxalement à l'aseptisation et à la déshumanisation du monde et de la société actuelle, en tentant d'imposer une communication maîtrisée et calibrée, parfaitement anti-spontanée, artificielle, peu praticable dans la majorité des situations, et selon moi inauthentique (l'authenticité c'est d'assumer qui l'on est, pas de nommer ses émotions à haute voix comme un androïde qui viendrait juste de prendre conscience de son existence), allant dans le sens du politiquement correct, qui est mortifère pour l'esprit, et de l'angélisme irréaliste et désincarné lié au new age. Cela mériterait sans doute de plus amples développements, mais je les garderai pour mon essai sur l'aseptisation de la société, qui sortira... un jour sans doute.
Pour conclure, je réitère que cette critique acerbe et sans concession n'est pas à prendre comme un dénigrement de la CNV. C'est un exposé des aspects néfastes que j'ai rencontrés et aperçus, qui me semblent assez importants pour être dénoncés, pour une personne comme moi ayant bien connu le potentiel des dérives sectaires, et ayant vu à l’œuvre certains manipulateurs. Je refuse par avance toute psychologisation de ma personne à cet égard. Je n'ai aucune obsession envers la CNV, et je n'y ai même pas d'hostilité particulière. C'est une chose qui fait partie de mon monde et que j'accepte, qui a certainement du aider beaucoup de personnes qui se connaissaient mal à sortir de l'ornière, et c'est déjà très bien. Mais c'est aussi une technique qui comporte un sérieux potentiel de dérive, dès lors qu'il est entre des mains incompétentes voire malveillantes, et a fortiori lorsqu'elle est considérée à tort comme une panacée qui pourra résoudre tous les problèmes relationnels. Aucune technique, aucune conception humaine n'est parfaite, cela n'existe pas, et il me semble sain et important d'alerter à propos du fait que cette technique peut être utilisée pour faciliter la manipulation de personnes non averties. Par ailleurs, cette technique, comme toutes les techniques de développement personnel, est à percevoir comme un outil de compensation de certains problèmes sociaux actuels, mais qui n'a aucun potentiel à les résoudre, seulement à rendre plus acceptable ce monde d'exploitation et de profit, faussement compromis par les techniques de coaching qui permettent seulement d'accepter ce mal et de vivre avec dans l'illusion que cela permettra à terme de le changer. C'est donc aussi parce que la CNV fait partie de ces techniques qui donne de faux espoirs d'un monde meilleur, alors qu'elle favorise le statu quo, qu'il me semble bon de soulever ces problématiques.
Enfin et surtout, il y a bien mieux que la CNV : la foi en soi et l'acceptation de nos difficultés et de nos souffrances. Nul n'est et ne sera jamais parfait, et trop de techniques font miroiter à des personnes sensibles ou fragiles de faux espoirs d'amélioration, alors qu'elles nourriront parfois leur insatisfaction et leur perfectionnisme maladif. Seul le lâcher-prise a le potentiel de nous libérer de nous-même, et si nous croyons que nous pouvons maîtriser la communication des autres, nous nous engageons, j'en suis persuadé, sur la mauvaise voie. Les plus contents de la CNV sont des professionnels confrontés à des clients capricieux par exemple. Dans ces cas-là, la CNV est un outil d'auto-défense émotionnelle, et je ne suis pas persuadé qu'elle soit beaucoup plus que cela. Mon article est à entendre non comme un appel à rejeter ou condamner la CNV, mais comme un appel à élever le regard, et à s'apercevoir que ces techniques induisent un angélisme qui est en réalité peu propice à élever la conscience au-delà d'un certain niveau. Si je m'ingénie à critiquer ce genre d'approche, c'est qu'elles sont trop souvent perçues et vendues comme un fin en soi, une perfection, un idéal, alors qu'elles ne devraient être considérées que comme une étape, car la quête de l'évolution de la conscience ne peut décemment se satisfaire d'une approche qui reste profondément duelle. La CNV peut certes être un pallier pour aller plus haut, mais elle ne devrait jamais être considérée comme un aboutissement en matière de sagesse ou de communication, la seconde entravant facilement la première, en faisant croire qu'elle a permis d'atteindre cette sagesse, alors qu'elle ne permet que de contourner les aspérités normales de la communication, perçues à tort comme néfastes, alors qu'elles font simplement partie du vivant, et de la richesse des échanges qui doivent avoir lieu entre les personnes. Les approches new age participent à l'aseptisation, à la dénaturation et même parfois à la perversion des rapports humains, et leurs bienfaits sont contrebalancés par les effets pervers que j'ai tenté d'évoquer ici. Pour aller plus loin dans l'exploration des problèmes liés à cette aseptisation, il faudra attendre mon essai sur ce sujet.
En attendant, pour s'apercevoir que la question de la non-violence ne s'arrête pas à une dualité violence versus absence de violence, il n'est pas inutile encore une fois de s'intéresser au discours de Krishnamurti, qui se rapproche énormément de la sagesse bouddhiste :
http://legacy.jkrishnamurti.org/fr/krishnamurti-teachings/view-daily-quote/20110928.php?t=Violence
http://www.krishnamurti-france.org/S-il-n-existait-aucun-ideal-du
http://legacy.jkrishnamurti.org/fr/krishnamurti-teachings/daily-quote-list.php?t=Violence
Autres ressources critiques sur la non-violence dans une perspective plus large :
https://laviedesidees.fr/La-non-violence-est-elle-possible.html
https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/DERRAC/60152
https://www.terrestres.org/2019/11/22/au-dela-de-la-violence-et-de-la-non-violence/
Un livre audio pas si hors-sujet que ça, qui, je trouve, est dans le refus des hypocrisies et de l'aseptisation, et casse les codes soporifiques du développement personnel, il y est notamment question, au chapitre 8, de la franchise dans la communication chez les russes, qui jure nettement avec la CNV, et que je trouve bien plus réconfortante et rafraichissante. Dans le même chapitre, il parle du piège du confort émotionnel trouvé dans une communication plate et évitante, qui est souvent le résultat du mauvais usage de la CNV, mauvais usage qui est, selon moi, la règle, comme je l'ai expliqué :