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L'Oeil du Selen
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17 septembre 2020

L'importance capitale de la critique parmi les multiples stratégies de l'intelligence humaine

 

Une chose importante à comprendre : la bonne volonté de chacun est importante. Je pense à mon article récent sur la CNV, mais cela peut s'appliquer à peu près à tout. Lorsque j'ai écrit mes articles sur l'homéopathie, les fleurs de Bach ou la CNV, je me suis toujours senti un peu gêné de dire ce que je disais, car après tout les gens ont tout à fait le droit de croire en ces choses, et même plus, je suis persuadé que ces choses fonctionnent bien, pour les gens qui savent les utiliser à bon escient, et peu importe quelle est l'explication (placebo, suggestion, foi, etc.) qu'on y fournira.

 

Ceux qui emploient ces approches, et ceux qui en font la promotion ont le droit de le faire, et je ne suis personne pour dire le contraire, encore moins pour les en empêcher. Ce qui tend à m'horripiler en revanche, c'est lorsque la critique est rejetée juste parce qu'elle est vécue comme négative, ou encore comme injustifiée. Une critique peut être fausse, mais il n'est jamais injustifié en soi de critiquer. En fait, ceux qui critiquent ces approches (ou toute autre chose), œuvrent pour la plupart avec sincérité pour ce qu'ils croient bon, tout comme ceux qui font la promotion de ces approches.

 

J'ai déjà avancé l'idée, assez bien connue en théorie des écosystèmes, que ce qu'il faut c'est une multiplicité de stratégies. J'avais dit cela par rapport au traitement de la pandémie SRAS-COV-2, notamment. Cela implique de conserver un maximum d'ouverture, de libertés et de libre-choix pour l'ensemble de la population. Lorsque je critique une technique, une approche, un mode de pensée, ce n'est pas pour le fusiller, le mettre à terre et hors d'état de nuire pour tous ceux qui l'utiliseraient et qui seraient selon moi dans l'erreur. Je n'ai pas du tout la prétention de croire que ceux qui ne pensent pas comme moi ont tort, et encore moins la prétention d'empêcher qui que ce soit de quoi que ce soit.

 

A chaque fois que j'ai critiqué aussi bien le sectarisme que l'anti-sectarisme, le racisme comme l'anti-racisme, la crédulité autour des fleurs de Bach, de l'homéopathie ou encore la béatitude d'un grand nombre d'utilisateurs et promoteurs de la CNV, c'était dans l'esprit d'en critiquer les limites, d'en mettre en lumière les problèmes, afin de fournir un éclairage, un simple point de vue que j'estime utile. Là s'arrête ma prétention.

 

Le monde a besoin de toutes les stratégies, et donc de toutes les techniques et approches que je critique, mais il a aussi besoin qu'elles soient critiquées sans concession. C'est par la conjonction de ces différentes stratégies que l'on favorise le fait de disposer de techniques d'autant mieux utilisées qu'elles sont éclairées par une critique franche. Il ne s'agit pas du tout, comme on a pu me le reprocher de "jeter le bébé avec l'eau du bain", d'ailleurs j'ai moi-même utilisé certaines approches que je critique, et il arrive même que je continue de les utiliser après les avoir critiquées. Aussi, je ne me suis jamais permis de critiquer quoique ce soit par ouï-dire, mais toujours des choses que je connais, soit parce que je les ai pratiquées et expérimentées moi-même, soit parce que j'ai eu assez d'échanges approfondis à leur sujet pour estimer pouvoir discerner le danger et le dénoncer précisément. Enfin, il y a aussi quelques cas où il m'est venu des intuitions profondes vérifiées ensuite par l'observation. Certains ne croient pas à la puissance de l'intuition, grand mal leur fasse honnêtement, car elle est parfois le meilleur, voire le principal recours, face à certaines choses, encore faut-il l'avoir assez bien aiguisée pour ensuite savoir se repérer avec sans s'égarer, mais il en va exactement de même de la raison, qui est souvent utilisée d'une manière qui conduit à des rationalisations fallacieuses basées sur des sophismes ou de la rhétorique. Y compris par des gens se prétendant "logiciens" (personnellement, je ne me prétends rien du tout, ce qui m'aide, sans m'en empêcher totalement, à ne pas tomber dans le sentiment que je maîtrise parfaitement ce que je dis, crois ou fais).

 

L'idée qu'il faut nécessairement avoir expérimenté quelque chose, voire en être un connaisseur ou un expert, pour pouvoir la critiquer me semble une absurdité. Bien sûr, beaucoup de gens parlent à tort et à travers, sans réfléchir, il est commun d'avoir un avis sur tout, et ceux qui ont vécu une situation sont forcément plus à même d'en fournir un discours nourri, que ceux qui l'ont observée ou qui en ont entendu parler. Cette année, Étienne Klein a sorti ce bouquin, « Je ne suis pas médecin, mais je... », que je n'ai pas lu, mais où je sais qu'il critique l'idée que des gens non diplômés et non formés, évoquent des opinions au sujet de disciplines souvent pointues, nécessitant de nombreuses années de formation. Je sais aussi qu’Étienne Klein est un esprit suffisamment subtil pour ne pas en faire une critique unilatérale, et puis j'ai entendu ses exposés et teasings à propos de ce livre. Cela est tout à fait entendable, que n'importe qui n'est pas forcément à même de formuler un avis intéressant et éclairé sur n'importe quoi.

 

Néanmoins on a aussi pu entendre plusieurs voix défendre la position inverse. Ainsi, Didier Raoult mentionne qu'il existe des blogs d'un niveau scientifique supérieur à la meilleure production scientifique officielle. Et Jean-Dominique Michel s'est aussi enthousiasmé qu'aujourd'hui, il y a un tel foisonnement grâce à internet où l'on peut trouver toutes sortes de sources, de textes,d 'articles et autres références, que chaque personne motivée puisse se former des opinions qui peuvent avoir des niveaux variés de pertinence, mais cela a au moins le mérite de permettre d'impliquer qui le veut.

 

À mon propre titre, je ne prétends à aucune expertise, ni à aucune excellence. Je me suis essentiellement positionné comme un observateur qui faisait usage de sa pensée critique, plus spécifiquement sur des questions d'ordre sociologique et anthropologique, et le fait que des gens comme moi puissent développer et exposer leur pensée a plusieurs mérites.

 

Tout d'abord, l'acquisition d'un savoir universitaire comporte aussi des inconvénients. Si tout savoir peut avoir une utilité lorsqu'il est employé à bon escient, il encombre aussi l'espace cognitif. Certains résument cela en disant que l'on devient prisonnier de son savoir, car tout acquis demande ensuite de l'énergie pour être revu, remis à jour, et cette énergie, beaucoup ne la dépenseront jamais. Il sera toujours plus confortable d'en rester à ses acquis. Dans une population de diplômés, seule une minorité mettra constamment à jour son savoir, et fera preuve de suffisamment d'humilité, de curiosité, de ténacité, de probité et d'honnêteté intellectuelle, pour combattre les savoirs acquis, qui sont souvent autant d'idées préconçues.

 

Un expert sera toujours plus pointu que quelqu'un comme moi. Il aura un vocabulaire précis, des références qu'il pourra citer, aura à sa disposition des études et des noms sur lesquels il pourra s'appuyer pour donner de la force et de la crédibilité à son discours. Cela ne veut pas dire qu'il ne se trompe pas. Durant cette crise, on aura vu des experts de tous les « camps » (j'entends par là, les « alarmistes » et les « réassureurs » par exemple) se tromper, affirmer des choses que se révéleront fausses ensuite. Cela a d'ailleurs servi à cliver les débats, notamment entre pro et anti-Raoult par exemple. Des débats dans lesquels le bon sens et la mesure étaient souvent les grands absents, et où, dans la binarité des échanges, ou oubliant souvent de concéder des vérités, car cela aurait pu renforcer le camp adverse. Ainsi, j'ai souvent croisé des « anti-Raoult » n'assumant pas de l'être, et traitant les « pro-Raoult » de sectaires. Pourtant, de mon côté, avec la sympathie que j'ai pour Raoult, sans pour autant le défendre sur toute la ligne, j'ai trouvé que la ligne « anti-Raoult » était particulièrement sectaire, et ne parvenait pas à voir que, même s'il a dit des « conneries », Raoult a quand même un discours juste et pertinent dans la plus grande partie de son discours, qui est celui d'un authentique médecin et d'un authentique chercheur, qui a certes ses partis pris, mais qui est aussi reconnu comme l'un des plus grands spécialistes de sa discipline. Rejeter absolument tout ce qu'il dit ne relève de rien d'autre que d'une posture captive d'un clivage sans nuance, d'un esprit partisans totalement stérile et contre-productif, et probablement d'un aveuglement lié à une envie de croire le discours médiatique dominant. Si ces gens pensent que leurs adversaires sont incapables de pensée critique et que Raoult n'est qu'un ego ambulant, c'est plutôt, selon moi, parce qu'ils projettent leur propre clivage sur leurs adversaires, et parce que leur ego est heurté par un ego encore plus fort. Bien sûr, cela fonctionne aussi dans l'autre sens, sans quoi il n'y aurait pas eu cette confrontation particulièrement navrante.

 

Je disais donc, un expert sera toujours plus pointu que quelqu'un comme moi, mais on a vu que tous les experts ont dit des choses soit fausses, soit manquant de nuances, dans ce moment. Une fois ce constat acquis, il faut vraiment avoir une distorsion de l'esprit, que je nommerai un conditionnement, pour estimer qu'une personne lambda n'est pas, en soi, fondée à se formuler une opinion et à la donner. Elle vaudra ce qu'elle vaut, et chacun pourra juger de sa pertinence et de son intérêt. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, pour prendre l'exemple de la médecine, les médecins ont beau faire au moins 8 années d'études, ces 8 années ne contiennent à peu près rien concernant certains sujets comme les vaccins, les plantes, et d'autres choses à propos desquelles seuls quelques médecins font l'effort personnel de se documenter. Et pourtant, ces mêmes médecins, sans formation véritable sur les vaccins, sont en même temps ceux qui sont chargés de les préconiser, de les prescrire et de les administrer...

 

L'expertise est souvent, en fait, surévaluée. Pour avoir suivi une formation en naturopathie et être officiellement naturopathe, je ne m'estime absolument pas expert en la matière. J'ai des connaissances, que je nourris en permanence, que je n'applique d'ailleurs pas forcément sur le terrain très souvent, car je ne suis pas pratiquant (j'ai appris cela surtout pour mon loisir et accroître mon savoir, mais je suis néanmoins diplômé et apte à tenir un cabinet) et je vois que ceux qui s'estiment experts en la matière au bout de quelques mois ou années de formation, ou parce qu'ils font du conseil en magasin, ont simplement tendance à se surestimer. La vision holistique du soin en naturopathie est probablement aussi complexe que la vision du soin en médecine classique, pourtant elle s'apprend en beaucoup moins d'années, et nécessite une formation continue soutenue pour parvenir à un niveau que j'estimerais satisfaisant. Je suis persuadé qu'un médecin qui sort de 8 ans d'étude est, d'une part plus pointu que moi, et d'autre part jamais encore assez savant, s'il n'a fait que suivre son cursus sans ajouter à cela une formation personnelle dans certains domaines (ce que beaucoup de médecins font, car ils le savent aussi bien que moi).

 

Partant de ce constat, et fort de l'originalité de ma vision des choses, et sans fausse modestie, il est fort possible que je sois aussi voire plus pertinent que certains experts, dans certains aspects qu'ils n'ont pas suffisamment creusé, ou encore que mon état d'esprit d'autodidacte me permette une vision critique qu'ils n'ont jamais où qui s'est étouffée dans leurs études. Et donc il est fort possible également que je sois davantage apte à repérer les défauts dans l'armure de leurs connaissances, comme l'est presque forcément tout observateur extérieur suffisamment attentif.

 

Mes limites se trouvent souvent dans le fait que je n'ai pas un éventail universitaire suffisamment dense pour avoir toujours une référence scientifique, philosophique, historique ou autre qui me vienne à l'esprit pour venir au secours de mon propos. Cela est une faiblesse car cela donne moins de poids à mon discours, mais cela est aussi une force, car cela m'évite de m'enfermer dans des idées préconçues qui m'auraient été inculquées, et me pousse à refaire les raisonnements par moi-même, c'est à dire à penser par moi-même. Par ailleurs, je découvre régulièrement des références après avoir soutenu un discours, qui viennent ensuite l'appuyer et confirmer mes idées. Attention, non que j'estime « avoir raison » dans le sens de la quête d'un biais de confirmation. Lorsqu'il est question de discours sur la société, la vie, il est forcément question de philosophie, et donc de subjectivité, et cela je l'assume parfaitement. Tous les discours que je tiens sur ce blog sont le résultat d'une recherche délicate entre la volonté qui consiste à affirmer un point, à défendre une thèse, et une autre tendance qui consiste à demeurer nuancé, justement pour ne pas basculer dans l'idéologie ou la caricature. Je ne prétends pas y parvenir toujours, mais cela est ma ligne directrice.

 

En tout cas, ce que je réfute c'est la nécessité d'avoir expérimenté, vécu quelque chose pour pouvoir le critiquer, et la nécessité de détenir un savoir universitaire pour pouvoir avoir une réflexion fouillée. Capacité de réflexion et savoir livresque sont deux choses tout à fait différentes, dont la seconde peut tantôt alimenter, tantôt brider la première, et souvent les deux à la fois : nous sommes modifiés par nos savoirs, qui peuvent soit nourrir notre réflexion, soit l'enfermer dans un enclos, et c'est souvent un mélange des deux qui se produit : le savoir guide la pensée, et ce faisant, l'aide à se canaliser dans une direction, en défavorisant simultanément la possibilité d'explorer les chemins de traverse pourtant souvent très fertiles. Le savoir, en somme, rend la pensée plus pointue, mais moins large, et c'est précisément cette manie de la spécialisation que je dénonce si souvent comme une tendance maniaque et stérilisante dans le monde moderne. Beaucoup de spécialistes d'un sujet ne comprennent d'ailleurs pas pourquoi ils ne sont pas compris. C'est pourtant simple, à force de pousser l'érudition dans leur domaine, ils se coupent de tout le reste et se fabriquent un univers rien qu'à eux qui est inaccessible à autrui. Ils en deviennent à la fois fascinants et très impressionnants, et en même temps impossibles à suivre pour la plupart, qui peuvent être amenés à les contempler comme des phénomènes de cirque dont on se demande comment ils en sont arrivés à un tel niveau de maîtrise dans leur domaine, tout en demeurant inaptes dans bien d'autres domaines. Le plus navrant étant quand ce sentiment de puissance les pousse à croire qu'ils peuvent s'exprimer sur tous les sujets, mais c'est encore autre chose...

 

Il y a une autre chose qui, en ce qui me concerne, m'aide à me former une vision critique des choses, qui est ma nature d'écrivain. Pendant mon enfance, je voulais devenir dessinateur. J'avais toujours été assez doué en dessin, et il n'aurait sans doute pas fallu beaucoup d'efforts pour que j'y arrive. Mais c'est ma capacité d'écriture (qui pour moi a un lien cérébral avec le dessin) qui a mûri à l'adolescence, et qui m'a détourné du dessin. A l'âge du collège, j'ai ressenti très fort cette affinité avec l'écriture, et je me suis mis à écrire avec obsession, d'abord sans plus y réfléchir que cela, multipliant les romans et les nouvelles, puis mu par l'espoir que la pratique finirait par faire de moi un auteur accompli. Je n'y suis pourtant jamais arrivé, car j'ai toujours eu peur à la fois de la réussite et de l'échec qui, l'un comme l'autre, auraient demandé des deuils et des sacrifices que je n'étais pas prêt à faire. Je me suis donc contenté d'écrire dans mon coin, en ne publiant par le biais d'internet qu'une partie infime de ma production. J'écris presque tous les jours, et je vous prie de croire que ce qui est publié sur mon blog n'est que la partie immergée de l'iceberg. J'en suis à des dizaines de milliers de pages, si ce n'est plus, et ce en dépit du fait que pratiquement personne ne me lit. Une bonne proportion a tout simplement disparu, ou traîne dans placards, mes clefs USB et disques durs, mais une partie de mon écriture est aussi disséminée sur internet en terme de poèmes, chansons, nouvelles, et quelques romans ou nouvelles que j'ai choisi d'auto-publier. C'est simplement une nécessité pour moi, que d'écrire, et désormais je me moque absolument de réussir, ayant réglé cette question entre moi et moi-même.

 

Cette vocation, donc, me permet une chose, qui est une sorte de gymnastique de l'esprit qui est propre aux auteurs. Je suis d'ailleurs tombé sur cet article sur George Simenon qui m'a beaucoup intéressé, car il y est évoqué de nombreuses problématiques techniques, humaines ou autres qui me concernent, puisqu'elles concernent tous les auteurs. Le fait, par exemple, qu'il dise ne lire aucun roman, mais surtout d'autres sortes de livres, ou encore ce qu'il dit sur sa façon d'écrire m'aide à moins me sentir comme un extra-terrestre.

 

https://www.fabula.org/colloques/document2426.php

 

La gymnastique que j'évoque consiste à être capable d'entrer dans des personnages, comme le ferait un comédien. J'ai aussi fait un petit peu d'ateliers de théâtre, et j'y ai découvert une similitude troublante. Simenon le mentionne, mais en fait tous les auteurs le disent : lorsque vous écrivez à partir de vos personnages, ceux-ci ont une vie qui vous échappe, vous ne savez pas comment ils vont se comporter, et ce qu'ils vont faire de l'histoire que vous aviez prévu. C'est d'ailleurs ce qui est si génial dans l'écriture : cette sensation de vivre dans la peau d'un autre et même plus, dans la peau de tous vos personnages à la fois, comme vous passez de l'un à l'autre.

 

Cette capacité, nul sociologue, nul médecin, nul scientifique, nul expert ne l'a s'il n'a jamais écrit un roman. Bien sûr, l'auteur peut avoir plus ou moins de talent à écrire, plus ou moins de talent à endosser ses personnages, plus ou moins de talent à créer des personnages crédibles qui collent à la réalité humaine. Et, en fait, pour relativiser ce que j'ai dit, nous avons tous un peu ces talents. Mais la pratique continue de l'écriture, comme celle que j'ai depuis l'adolescence, le développe. À défaut de me conférer une légitimité, cela me permet en tout cas de pouvoir explorer les motifs, la dynamique personnelle, et de détecter les contradictions de la plupart des gens que je rencontre, que j'écoute ou que j'observe. Je me trompe forcément lorsque je fais cela. Mais cette capacité me donne suffisamment d'adresse pour me faire une idée du profil d'une personne, et souvent à déterminer des motifs et des élans dont elle n'est pas consciente elle-même. Prétention? Libre à vous de le penser... Je suis pour ma part absolument convaincu que tous les comédiens, avocats, psychologues, auteurs et de nombreux artistes font naturellement cela, même si c'est avec plus ou moins de pertinence, de précision et de talent.

 

C'est surtout cette capacité que j'utilise, lorsque je critique l'adhésion à telle idéologie, à telle méthode, à telle croyance. Cela m'a permis de déjouer des dynamiques sectaires que personne autour de moi ne percevait, cela m'a permis de détecter la réelle motivation ou la réelle structure psychologique qui conduisait certaines personnes à prendre certaines décisions ou à évoluer d'une certaine manière, car pour moi ces mécanismes sont tout sauf profondément mystérieux. Ils répondent à une logique maintes fois explorée dans mon écriture, et que je vois très souvent se produire devant moi dans le monde réel.

 

Cette capacité permet aussi de penser comme un scientifique, ou comme un commerçant, ou comme un criminel, ou comme n'importe qui qui vous intéresserait assez pour en faire un personnage principal. Bien sûr, les auteurs les plus motivés tels que les auteurs professionnels vivant de leur travail développent encore bien plus que moi cette capacité. Ainsi, pour se rapprocher le plus possible de leurs personnages et de leur réalité, ils vont par exemple interroger des gens. Selon le personnage que vous voulez construire, ce pourra être un politicien, un pharmacien, un sportif de haut niveau, n'importe quoi. Les comédiens procèdent aussi souvent de cette manière.

 

Pour ma part, ma tendance autistique me donne encore une autre vision des choses, qui me rend difficile le contact direct avec des personnes, mais qui m'aide à y parvenir par l'abstraction. C'est pour cela que j'apprécie plus particulièrement un auteur comme Kafka, qui était réellement étrange dans sa personnalité comme dans son écriture, mais qui me paraît à moi très familier et particulièrement génial – je ne pourrais jamais approcher son talent – car il parvient à écrire des choses complexes à plusieurs niveaux, qui nous apprennent des choses sur l'humain et sa société, plus pertinents que les travaux des meilleurs experts en sociologie ou en anthropologie. C'est là toute la force de l'art...

 

C'est pour toutes ces raisons que je réfute fortement et définitivement l'assertion médiocre et désespérante, que l'on ne peut ni ne devrait formuler un avis ou une critique sur quelque chose qu'on ne connaîtrait pas. La connaissance est en nous, dans nos fibres, dans nos os, dans nos cellules, et pas seulement dans nos cerveaux. Il n'est besoin que de les écouter et de s'y ouvrir. La raison n'est qu'un canal, et je réalise maintenant que le discours se basant sur des concepts allant uniquement du pré-rationnel au trans-rationnel en passant par le simplement rationnel, sont des discours qui font encore tout graviter autour du rationnel. On y oublie les autres canaux, que sont ceux de la sensation ou de l'intuition. Tout comme l'on dit qu'il y aurait une intuition haute, je postule qu'il existe des sensations suprêmes. Ceci est attesté par certains médiums, sensitifs, chamans, etc. Ces canaux, tout le monde n'y a certes pas accès, et dans nos sociétés occidentales, la raison demeure le domaine le plus valorisé, ce qui pousse d'autant plus ceux qui ont une affinité naturelle avec, à renforcer cette suprématie en fabriquant des constructions mentales brillantes mais fragiles et insuffisantes.

 

La raison aura toujours tendance à créer des catégories, sous-catégories, à tout ranger et séparer. Ce qui ne rentre pas dans le cadre des catégories inventées par la raison sera qualifié de faux, d'illusoire, d'impossible, et pour ceux qui ne sont pas hyper-spécialisés dans ce canal, ou qui n'excellent pas en premier lieu dans ce domaine, on les dévalorisera en parlant notamment de leur confusion.

 

Mais si la confusion existe, en tant qu'état mental perturbé, elle est en fait très souvent le nom donné par les rationalistes à quelque chose qu'ils ne comprennent pas, car ils n'arrivent pas à la découper en petits bouts. C'est que la personne qui fait appel à son intuition ou à ses sensations ne dispose pas des mots adéquats pour exprimer ses ressentis. Elle doit donc faire un effort de formalisation pour accéder à une verbalisation relativement précise. Et encore, la verbalisation appauvrira nécessairement ce qu'elle transmet. On aura alors beau jeu de le disqualifier, si l'on est porté à catégoriser les choses avec une extrême précision. La CNV fait partie des techniques qui, bien qu'elles fassent appel à l'intelligence émotionnelle, pâtissent de ce passage de l'univers intérieur des émotions et ressentis fluides, vers le monde extérieur de la verbalisation à destination sociale. C'est pourquoi – et ce n'est que l'un des raisons – elle n'est pas faite pour tous. Car les émotions sont souvent un amalgame enchevêtré d'envies, de pulsions, d'inhibitions, de douleurs superficielles et de douleurs profondes, et d'autres choses encore, qu'il est illusoire de croire pouvoir nommer par un seul terme. Ainsi, vous pouvez être superficiellement en colère, mais en fait votre colère émerge peut-être d'une peur, qui elle-même naît d'un manque, qui lui-même trouve sa source dans une déficience, une maladie, etc. Or vous ne pourrez jamais exprimer que la surface d'un ressenti, et en croyant que vous demandez que l'on respecte votre sensibilité, ce que demande en fait votre être, c'est quelque chose d'inconnu et de profond qui, peut-être, vous maintient dans votre souffrance, et mériterait d'être analysé. Une raison de plus de ne pas s'arrêter à une technique qui vise en fait souvent juste à éviter des conflits, qui peuvent pourtant, dans certains cas, être profitables pour l'être. C'est certes un autre sujet, qui n'est pas celui qui concerne directement la CNV, mais qui mérite d'être mentionné en passant, car trop souvent les techniques « magiques » de ce genre ont pour effet pervers de nous dispenser de nous questionner réellement sur la profondeur de notre être, et donc potentiellement de nous empêcher d'évoluer, quand bien même ces techniques sont présentées, je l'ai déjà dénoncé, sous les atours angéliques de l'amélioration des relations humaines, de l'amour de l'autre, etc., quand bien même elles peuvent tout aussi bien servir à se dissimuler des parties plus sombres de notre être, qui nous agissent malgré nous tant que nous ne nous y sommes pas confrontés.

 

 

En conclusion, ce qu'il faut comprendre c'est que je « milite » en quelque sorte pour le droit de chacun à exprimer son sens critique, et à le faire ouvertement. Car dans notre société, la critique a toujours mauvaise presse, est vécue à tort comme négative, et qu'on exige toujours d'elle qu'elle soit « constructive », ce qui cache presque toujours un appel à une critique qui serait en fait « positive ».

 

Il est vrai qu'une critique habile, qui saura mêler l'énonciation des qualités de quelque chose ou de quelqu'un, avec la dénonciation des problèmes qui vont avec, sera toujours plus efficace. Néanmoins, cet appel à la critique constructive est souvent hypocrite. Maintes fois j'ai critiqué des choses en faisant appel à des précautions oratoires, en commençant d'abord par vanter mon objet, en signalant parfois même que je suis plutôt favorable à la technique, à l'approche, que j'apprécie en fait la chose que je critique, voire que je m'en sers moi-même car je lui reconnais avant tout des qualités, et pourtant, la critique est souvent mal reçue, et rejetée avec une espèce de vexation qui signale la véritable raison du rejet. Oserais-je nommer cela mauvaise foi ? Je pense que c'est bien souvent cela, car l'on a blessé la susceptibilité de l'autre, qui n'est alors pas en situation de recevoir la critique sur lui ou à propos de ce qu'il apprécie, et à quoi il s'identifie. Tout le monde a rencontré ce genre de situation, j'imagine, et ce n'est pas si grave. Cela est beaucoup plus embêtant quand cela prend une forme de procès du critiqueur, qui serait négatif, voire méchant, dont les critiques seraient par essence illégitimes ou je ne sais quoi. Pour moi, toute critique est légitime. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit fondée, honnête, juste, ou guidée par des idées ou des intentions qui soient irréprochables. Ce sont deux choses bien différentes. Ce que je réprouve, c'est de rejeter la critique par essence, en trouvant à cela des prétextes comme l'expérience ou le savoir de la personne, ce qui équivaut déjà à l'essentialiser en l'enfermant dans une image qui est souvent une caricature. Répondre aux arguments devrait suffire, mais peu ont cette honnêteté, il faut s'y faire car c'est ainsi. Mais je ne peux m'empêcher de déplorer ce manque d'esprit Voltairien dans la société française, où beaucoup de gens ont plus à cœur de défendre leurs convictions et leurs credos que de s'ouvrir à des débats qui risqueraient de remettre en cause ce qu'ils ont certainement par trop investi. S'il est légitime également de refuser la critique (on n'a pas forcément que cela à faire non plus que de toujours tout remettre en cause), encore faudrait-il le faire honnêtement sans renvoyer le critique à une caricature de lui-même ou de son discours, comme c'est trop souvent le cas.

 

Par ailleurs, j'insiste sur cette idée que toutes les stratégies doivent être tolérées. La foi absolue avec refus de la critique en est une, et la critique systématique en est une autre, et à côté cohabitent toutes sortes d'approches de la vie, dont certaines ignorent le concept même de critique, entièrement tournées vers l'action, tandis que d'autres préfèrent l'abstraction, et toutes les stratégies hybrides, intermédiaires ou encore différentes que l'on peut imaginer. Lorsque je pratique la critique – et je ne fais pas que cela de ma vie non plus – j'aimerais qu'elle soit entendue, quitte à ce qu'elle soit totalement rejetée ensuite. Mais contrairement aux aficionados, parfois fanatiques, de telle ou telle approche, je ne m'illusionne pas à ce sujet. Je déplore seulement que cela ne soit pas le cas, que l'honnêteté intellectuelle ne soit pas la préoccupation de tous, ou encore qu'elle soit un simple prétexte à se renforcer dans des certitudes illusoires.

 

Comme je l'ai exprimé, nous avons tous nos spécificités qui nous sont constitutionnelles, et bien que certains d'entre nous ne soient pas diplômés ou experts dans les domaines où ils s'expriment, ils sont néanmoins fondés à le faire de par leur statut d'individu libre, de citoyen soucieux de diverses problématiques sociales, et simplement d'être humain pouvant être impacté par le bon ou le mauvais usage de certaines choses dans le monde dans lequel il vit, car nous sommes tous en interaction, car les souffrances et les bonheurs qui touchent les autres peuvent se répercuter sur nous, et car la conscience commande de réaliser que, si l'impact de notre opinion sur les choses demeure mineur voire négligeable dans la plupart des cas, il peut avoir un effet décisif sur quelques personnes – ce que j'ai personnellement vérifié plusieurs fois dans mon existence – et donc également sur nous-même. En d'autres termes, aucune critique n'est stérile en soi. Le problème se situe plutôt, pour moi, dans un déséquilibre de la perception générale entre négativité et positivité. Il est idiot et illusoire de ne promouvoir et n'accepter que le positif, et de s'imposer ainsi des œillères, alors que le positif alimente le négatif par des mécanismes déjà discutés abondamment dans ce blog. En ce sens, dénier la légitimité de la critique est déjà nourrir le négatif, dans ce monde absolument soumis à une dualité que certains semblent vouloir illusoirement annihiler, alors que la solution de cette dissolution ne saurait se trouver dans le monde matériel...

 

Il en va aussi bien ainsi à travers la disqualification par les expressions toutes faites comme « complotiste » ou « fake news ». Cette manie de vouloir délégitimer toute critique ne saurait être autre chose qu'un moyen de défense, qu'il soit psychologique à l'échelle de l'individu, ou mémétique et politique à l'échelle des communautés humaines. L'individu comme le groupe se sentent mis en danger, et mettent alors en œuvre un sacrifice de l'offenseur par des moyens fallacieux et hypocrites, permettant de ne pas reconnaître le sacrifice comme tel, pouvant aller jusqu'à se cacher derrière les atours d'une raison supérieure qui dénierait jusqu'au sacrifice même, puisque la croyance dans la possibilité de l'annihilation de la logique sacrificielle au sein de la réalité duelle perdure… Je suis conscient que mon propos n'est sûrement pas forcément très limpide pour le lecteur, mais cela, je l'ai vu et vécu bien des fois, et je n'accepterai pas que l'on me dénie le droit de l'affirmer, car j'en vois, j'en vis et j'en ressens pleinement les conséquences. En d'autres termes, si j'ai écrit tout cet article, c'est parce que je ressens dans ma chair comme dans le monde qui m'environne, la morsure et l'écho dus à ces attitudes dénégatives, bien plus irrespectueuses de l'autre que peut l'être une critique qui peut être acerbe et difficile à encaisser (je le conçois très bien car, comme tout le monde, je crains la critique), mais qui au moins ne se cache pas derrière son petit doigt, et donne l'occasion à l'autre d'entendre quelque chose qui peut le questionner, plutôt que d'avoir à subir un sacrifice, car la critique n'est jamais sacrificielle, elle ne saurait être qu'offensive et douloureuse, mais potentiellement salvatrice pour tous. S'il existe donc bien un moyen de diminuer la gravité des atteintes sacrificielles – sans croire qu'on pourrait les anéantir – c'est l'attitude qui consiste à accepter pleinement la critique, même si on en refuse le contenu. Il faudra donc, si l'on veut sincèrement faire avancer l'humain, en passer par l'acceptation de la critique, pour soi et contre soi. Sinon, le risque encouru est l'anéantissement de celui-ci, au sens symbolique, si ce n'est au sens physique. Pas plus, pas moins, car le caractère animal, biologique et fragile de la vie humaine l'expose à une vulnérabilité qui est inhérente au cycle de la matière, malgré le culte dont cette dernière fait l'objet à notre époque.

 

Un ultime point qui me vient après écriture et publication : si la critique était mauvaise en soi, la nature ne produirait pas des individus critiques. Je pense que c'est un argument qui se comprend très simplement, et il serait sage de faire confiance dans la nature en la matière.

 

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