Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'Oeil du Selen
Archives
12 juin 2009

La démocratie est imaginaire

    Nous sommes fiers de vivre en démocratie. Notre système civilisationnel est l’aboutissement de l’évolution darwinienne des sociétés. Le dernier maillon de la perfection réalisée sur Terre, par l’homme, pour le peuple.

 

    C’est à peu près ainsi que nous avons coutume de désigner et en même temps de faire l’éloge du système qui régit nos vies, qui permet au capitalisme de ravager autant les écosystèmes que nos psychés.

 

    Mais nous avons tort, et quelque part, nous le sentons bien. Mais nous n’arrivons pas à mettre le doigt dessus. C’est ainsi que l’on tend à parodier la démocratie en, au choix, "dictature de la majorité", "démocrature", ou encore cette citation commune « la dictature c’est "tais-toi !", la démocratie c’est "cause-toujours !" ».

 

    Nous nous trompons, car le système républicain et oligarchique dans lequel nous vivons n’est pas, et surtout n’a jamais été, une démocratie. Non seulement ça, mais cela n’a jamais été le désir des pères fondateurs des républiques modernes.

 

    Il suffit de se rappeler la définition de la démocratie que nous avons tous en tête, pour commencer à s’en convaincre. De démos, le peuple, et de kratos, le pouvoir, ou souveraineté. Ainsi dans une véritable démocratie, le peuple est souverain, il exerce le pouvoir. Il l’exerce, il ne l’abandonne pas aux mains d’autres, qui en feront ce qu’ils en veulent, autre définition de cet euphémisme qui se dit « déléguer ».

 

    Il en était ainsi, à l’aube de notre histoire, dans plusieurs cités-états helléniques, dont Athènes, la plus fameuse. Certes, tous n’étaient pas reconnus comme citoyens, comme aujourd’hui encore, certains être humains n’accèdent toujours pas à ce statut. Par contre, tous ceux qui étaient reconnus comme citoyens exerçaient réellement le pouvoir. On pourra arguer que ces citoyens athéniens ne représentaient qu’une caste, c’est vrai, mais cette caste comprenait réellement le peuple, du moins en partie (pas les femmes, pas les esclaves, pas certaines « sous-castes »…). Et alors ? Aujourd’hui, c’est pareil, les étrangers n’ont pas le droit de vote, les mineurs, les objecteurs de conscience ne l’ont pas pendant la durée de leur service… je ne sais pas en détail qui n’a pas le droit de vote, mais je sais que tous ne l’ont pas. Je sais aussi que tous ceux qui l’ont n’ont pas la même souveraineté, le même pouvoir que les citoyens athéniens. On pourra encore arguer que de nos jours, cela serait difficile d’exercer réellement le pouvoir directement par le peuple. Avons-nous essayé ? Avons-nous seulement essayé d’imaginer que notre système politique et civilisationnel soit dépassable ? Nous sommes nous foulés pour imaginer d’autres possibles, des micro-démocraties locales, des systèmes autogérés ou non, en lien entre eux ? Ou bien avons-nous définitivement accepté que notre prétendu pouvoir soit en fait exercé par d’autres, et à notre détriment ? Je crois bien que c’est cela, et par conséquent, ce que l’on peut répondre, c’est que de dire que le système est actuel est le meilleur à tout jamais relève d’un préjugé, d’un dogme, d’un aveuglement, et pire, un refus de constater qu’il a déjà mené à un échec. Et non à une crise. La crise n’étant que l’un des modes d’existence de ce système, autrement dit son corollaire.

 

La république comme obstacle à la démocratie

 

    J’ai dit plus haut que notre système n’avait jamais été démocratique. Nous vivons au temps de la 5e république. Tilt ! Nous vivons en république. Pas en démocratie.

 

    Quelle différence, me direz vous ? Elle est de taille. Ouvrez votre dictionnaire à la page « oligarchie ». L’oligarchie, le pouvoir de quelques-uns… Quelques-uns, non seulement ça n’est pas le peuple, mais c’est même le contraire du peuple, puisque le peuple, c’est tous !

 

    Or il est évident que le pouvoir, en pratique, est exercé, et maintenu, par quelques-uns. Une minorité. Et non la majorité qu’est le peuple. Le fait que le peuple lui délègue prétendument son pouvoir n’est qu’un tour de passe-passe pour justifier la dépossession totale de pouvoir que nous subissons, nous, le peuple. L’acte de voter représente donc l’acte symbolique de déléguer son pouvoir, c'est-à-dire de l’abandonner dans les mains d’un autre. En clair, au moment du vote, le peuple se décharge de son pouvoir, qui passe de la majorité vers l’oligo-élément néo-aristocratique. L’oligarchie, qui ferait le bien du peuple.

 

    On m’a souvent soutenu que tout cela peut se défendre, mais uniquement parce que le pouvoir aurait été détourné, qu’au fil du temps, ce pouvoir aurait gagné en pourriture et en corruption. Encore une fois, c’est faux. Lisez donc ce qui s’écrivait il y a un siècle, sur les abus du pouvoir, sur la farce qu’est en réalité la démocratie. Les discours étaient plus francs, plus nets, plus virulents, moins politiquement corrects qu’ils ne le sont aujourd’hui, pour dénigrer l’exercice d’un pouvoir inique, qui avait permis et justifié la guerre de 14-18, par exemple. C’est qu’il en était déjà ainsi à l’époque, et qu’entre temps, on nous a partiellement dépossédés, aussi, de notre capacité à critiquer le système, en pervertissant encore davantage les mots pour le faire. Mais cette manipulation avait commencé dès le fondement des régimes actuels.

 

    Je peux aussi fournir quelques éléments à décharge, pour démontrer que jamais la classe dominante qui profita la première des grandes révolutions de ces derniers siècles, que ce soit sur les continents européen ou américain, ne désira réellement instaurer une démocratie. Vous les trouverez ici :

 

http://eminencia.free.fr/wiki/doku.php?id=wiki:faits:democratie:l_esprit_antidemocratique_des_fondateurs_de_la_democratie_moderne

    Mais laissez-moi en mettre quelques passages en lumière…

 

    « Avant d’être instrumental, l’antidémocratisme des patriotes est sans doute sincère. Il est le résultat d’une socialisation profondément élitiste, influencée en grande partie par l’éducation classique que reçoivent les leaders patriotes des deux côtés de l’Atlantique.
    (…)
    Aristote et Cicéron sont sans nul doute les deux penseurs politiques de l’ère classique qui exercent la plus grande emprise sur l’esprit patriotique. Or ces deux penseurs prônent un régime mixte où les trois ordres – le monarque, les aristocrates et le peuple (ou démos) – se neutraliseraient au sein d’institutions telles que le sénat, la chambre basse, etc. Pareille constitution est dite « républicaine » et, plutôt que de favoriser les intérêts d’un seul ordre au détriment des autres, elle prétend tendre vers le bien commun. C’est d’ailleurs l’étendard républicain que vont brandir les patriotes. Quant à la démocratie, Aristote comme Cicéron s’en méfient, méfiance qu’ils ont transmise aux jeunes patriotes déjà bien disposés à croire que les gens du petit peuple sont dépourvus de discernement politique. »

 

    En clair : les fondateurs de nos sociétés se sont inspirés d’un idéal républicain qui s’opposait à l’idéal démocratique en ce sens que le peuple était vu comme incontrôlable, stupide et incapable de se déterminer politiquement. De ce préjugé fondamental, et du partisanisme des fondateurs en leur propre faveur, naturellement, naissent les régimes modernes, nommés à tort, et même dans le but de tromper, « républiques démocratiques ». Cela vous rappelle sûrement quelques souvenirs d’avant la chute du mur de Berlin. De quel côté du mur sommes-nous, maintenant ? … Je vous laisse méditer à ce sujet.

 

    L’histoire des partis politiques américains est éloquente à ce sujet, prenons un autre passage :

 

    « En Amérique, le débat constitutionnel de 1787, qui aboutira à la création de l’union, offrit une bonne occasion aux fédéralistes d’utiliser le mot « démocratie » comme repoussoir. On parle ainsi des « excès de la démocratie », celle-ci étant présentée comme « le pire de tous les maux politiques », qui conduit à « l’oppression et à l’injustice ». Ainsi, selon John Adams, un patriote de la première heure qui sera vice-président de George Washington puis président des États-Unis : « L’idée que le peuple est le meilleur gardien de sa liberté n’est pas vraie. Il est le pire envisageable, il n’est pas un gardien du tout. Il ne peut ni agir, ni juger, ni penser, ni vouloir ». On peut difficilement imaginer un antidémocratisme et un mépris du peuple plus clairement exprimés et assumés. »

 

    Puis, plus loin :

 

    « Aux États-Unis, le mot « démocratie » acquiert un sens positif quand apparaissent les grands partis politiques. En France ce renversement de sens correspond à l’octroie du suffrage universel aux hommes et la montée des pressions socialistes. Une telle « manipulation langagière » ne s’est pas faite seule, mais fut orchestrée par l’élite politique ; son but, jouer sur l’imaginaire pour asseoir la légitimité des représentants. Désigner les républiques comme démocratiques ne fut qu’une manœuvre pour faire croire que ce système répondait aux intérêts du peuple – du démos. Comme le révèlent les textes de l’époque, cette stratégie, que nous appellerions aujourd’hui du marketing politique, est clairement mise en place par l’élite politique. Ainsi, selon le Boston Quarterly Review (11 janvier 1839) « un parti qui ne serait pas perçu comme démocratique ne peut même pas devenir une minorité respectable ». Ainsi, l’ancêtre du parti Démocrate américain, d’abord officiellement connu sous le nom de parti Républicain, adopte en 1828 le nom de Democratic Republican pour ne devenir finalement parti Démocrate qu’en 1840. Mieux encore, son opposant conservateur adopte un discours pro-démocratique, aussitôt dénoncé par les « démocrates » : les conservateurs « prétendent être démocrates seulement parce qu’ils savent que le peuple est si attaché à ce mot qu’il ne votera pas pour un parti qui ne le porte pas » (avril 1840, Quarterly Revier de Boston). »

 

    De manière très claire sont ici énoncés les fondements anti-démocratiques de nos républiques, fondées sur une peur du peuple versatile et aux revendications égalitaristes fort peu en accord avec l’espérance de la classe dominante de conserver ses avantages. Espérance à laquelle cette classe s’accroche plus que jamais aujourd’hui, en période de « crise »…

 

    Alors voilà c’est dit. Les républiques n’ont pas été fondées par les peuples après les révolutions, ni à leur avantage, et leurs principes ne sont pas démocratiques. Car ceci n’est qu’une fable, un mythe, que l’on nous raconte afin de perpétuer la farce, que l’ordre soit maintenu, que les républiques se succèdent à elles-mêmes dans une danse sans fin où le mythe survit à chaque bouleversement par le miracle de l’imaginaire auquel les peuples vouent valeur de réalité indiscutable et indépassable. En quelque sorte, le mot « démocratie » est notre nouveau « Zeus » ou « Jupiter » et forme le centre d’un mythe qui est le ciment de ce système. Si l’on cessait d’y croire, sa légitimité s’effondrerait ainsi, sans doute, que son existence même.

 

    Il ne m’est pas donné de trancher la question qui consiste à se demander combien de temps les peuples continueront encore d’y croire, en s’accrochant à leur illusoire droit de vote, censé constituer la démonstration de sa souveraineté, alors qu’elle n’est que la preuve de sa démission de cette souveraineté, démission envoyée comme un signe au pouvoir sous la forme d’un bulletin incarcéré dans une urne, fut-elle transparente, pour nous donner là aussi l’illusion que la transparence est gage de vérité et de probité, comme souvent les jeux de miroirs des prestidigitateurs donnent l’illusion parfaite d’une transparence, alors que, pour croire au tour qui lui est joué, le public a besoin de laisser son imagination faire le travail de crédulité, d’élaboration mentale de ce qu’il ne perçoit pas, d’imagination de processus démocratiques qu’il ne constate pas, car ils sont fictifs, mais auxquels il persiste à croire. Car les gens aiment rêver. Alors on leur a inventé un rêve qui leur plaît. La démocratie.

Publicité
Commentaires
L'Oeil du Selen
  • La renaissance du défunt Oeil du Selen. Blog sans thème précis mais qui abordera ceux de la création, des perceptions, du monde tel que nous croyons le connaître... et bien d'autres choses.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Publicité